Autopsie d'un échec

Les ministres du Travail et du Développement économique et régional, Michel Després et Michel Audet, ont finalement fourni les détails de l'enquête décrétée à la suite de l'arrêt des travaux de modernisation de Papiers Gaspésia. C'est le juge à la retraite Robert Lepage qui présidera la commission où siégeront trois autres commissaires. Le rapport est attendu en novembre prochain.

Depuis l'annonce de la fermeture du chantier, bien des gens ont exprimé leur point de vue au sujet des causes possibles des dépassements de coûts. Entre autres, on a mentionné la difficulté de faire du neuf avec du vieux, la faible productivité des travailleurs, les effets néfastes du monopole syndical, l'éloignement du chantier des grands centres et le manque de leadership de la direction de l'usine.

Hier, en réaction à l'annonce du mandat de la commission, la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante ajoutait son grain de sel en rappelant le changement récent à la loi qui force désormais les entreprises à faire installer leurs équipements de production par des syndiqués de la construction. Des études indépendantes avaient prédit une augmentation des coûts advenant que le gouvernement du Parti québécois accorde un tel cadeau à ses alliés syndicaux. Voilà une bonne occasion pour la commission de vérifier de façon objective si le gouvernement a eu raison ou si un retour à l'ancienne pratique ne serait pas souhaitable. Auquel cas, l'actuel gouvernement serait justifié de modifier la loi.

Dans la même veine, la commission devra aussi se demander si les coûts initiaux du projet avaient été évalués selon les règles de l'art ou si quelque décision politique de lancer le projet coûte que coûte ne pourrait pas expliquer une partie du gâchis. Le mandat de la commission comporte déjà l'obligation de «vérifier si les fonds publics ont été utilisés de la manière prévue», mais compte tenu de l'importante implication des sociétés d'État dans le financement du projet, il serait aussi pertinent de comprendre les motifs des dirigeants de nos sociétés d'État à engager des fonds publics dans une grande aventure ainsi que les moyens mis en place par la suite pour assurer le suivi du projet.

Compte tenu du nombre croissant de grands chantiers dont les coûts ont explosé au cours des dernières années, on eût préféré une enquête élargie à d'autres grands chantiers que celui de la Gaspésia. Cela étant, on peut comprendre que le gouvernement n'ait pas voulu mobiliser, voire braquer tous les acteurs de l'industrie de la construction. Nul doute qu'il sera aussi plus facile et plus rapide de faire l'autopsie d'un cas précis dont l'échec est retentissant que de faire le tour de tous les projets aux prises avec des dépassements de coûts. De toute façon, il semble que le gouvernement ait saisi le message puisque le mandat de la commission ne se limite pas à expliquer ce qui s'est passé à la Gaspésia mais s'étend à la formulation «de recommandations sur d'éventuelles modifications à apporter à la gestion des grands chantiers et aux relations de travail et d'affaires sur ces chantiers».

Voilà bien ce qui importe: que cet échec lamentable dont les Gaspésiens subiront les conséquences pendant des décennies serve de leçon pour l'avenir.

jrsansfacon@ledevoir.ca

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