Prudence avec la maternelle 4 ans
Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a dévoilé sa politique pour la réussite éducative des enfants, de la naissance jusqu’à l’âge de huit ans. Des trous béants subsistent, bien que la nécessité d’intervenir en bas âge pour stimuler la réussite scolaire ne fasse pas l’ombre d’un doute.
Le titre Tout pour nos enfants de la politique du gouvernement Couillard pour la réussite des enfants jusqu’à huit ans se prête aux jeux de mots. Tout pour notre réélection ferait un aussi bon titre.
Depuis quelques mois, les libéraux multiplient les annonces en éducation, la nouvelle priorité sociétale, pour faire oublier les mesures de rigueur budgétaire qui ont été sévèrement critiquées dans la première partie de leur mandat. Des parents en étaient rendus à former des chaînes humaines autour des écoles publiques pour exprimer leur ras-le-bol. Une déclaration-choc de l’éphémère ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, caractérise bien cette époque marquée par l’indifférence. Invité à commenter les coupes dans les achats de livres pour les bibliothèques scolaires, M. Bolduc avait rétorqué qu’« il n’y a pas un enfant qui va mourir de ça ».
Sébastien Proulx est le meilleur ministre de l’Éducation déniché par le premier ministre Philippe Couillard. Il possède ses dossiers sur le bout de ses doigts, et ses préoccupations pour une prise en charge précoce des enfants sont sincères et bien avisées.« Il faut agir tôt, le plus tôt possible », répète-t-il. En effet, c’est dans la petite enfance qu’il faut semer le germe de la réussite scolaire, elle-même un élément crucial de l’émancipation personnelle et du progrès social.
Il n’empêche que les libéraux exploitent le thème de l’éducation à des fins électoralistes, en distillant au compte-gouttes les annonces à ce sujet : stratégie d’intervention auprès des 0 à 8 ans, ajout de ressources professionnelles, investissements de 740 millions dans la rénovation des écoles, et ainsi de suite. Au-delà des annonces ponctuelles, qu’en est-il de la vision d’ensemble ?
La stratégie d’intervention auprès des 0 à 8 ans nécessitera des investissements de 1,4 milliard d’ici 2022 et l’embauche de nouvelles ressources professionnelles (orthophonistes, ergothérapeutes, psychoéducateurs, etc.), ce qui est en soi une bonne nouvelle. Québec compte également poursuivre le déploiement de la maternelle 4 ans dans les milieux défavorisés, sans s’engager sur le nombre de classes (il y a 2245 enfants à temps plein et 4199 à demi-temps dans les maternelles 4 ans).
L’efficacité de la maternelle 4 ans pour améliorer la réussite scolaire des enfants est loin d’avoir été démontrée avec certitude. Une étude menée par Christa Japel, professeure à l’UQAM, pointait des lacunes dans l’environnement éducatif, le mobilier et l’aménagement des lieux qui freinent la progression des enfants. Avant de déployer le service à grande échelle, il faudra au moins faire une évaluation rigoureuse des expériences actuelles et corriger les lacunes observées.
À cet égard, la création d’un Institut national d’excellence s’avère nécessaire afin d’évaluer non seulement la maternelle 4 ans, mais tous les projets pédagogiques au Québec. La mesure du succès ne peut reposer sur le degré de satisfaction d’un ministre ou des fonctionnaires à l’Éducation. Cet institut devra cependant bénéficier d’une pleine indépendance et assurer le partage des meilleures pratiques, afin que l’école réponde aux besoins des enfants.
Si les petits sont si importants, pourquoi le gouvernement Couillard poursuit-il son travail de sape auprès des centres de la petite enfance (CPE) en offrant des incitatifs fiscaux aux parents qui envoient leurs enfants dans les garderies privées ? Il est vrai que les parents issus des milieux défavorisés, la clientèle cible des CPE, ont boudé ce service public. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Québec s’intéresse autant à la maternelle 4 ans, pour rehausser les chances de succès des enfants à risque. Mais il n’est guère plus avisé de les enrôler dans un nouveau réseau qui n’a pas encore fait ses preuves.
Les CPE, les garderies privées et les garderies en milieu familial forment un réseau de services « à géométrie variable », selon l’expression de la présidente de la CSQ, Louise Chabot. Les variations dans la qualité de ces services minent, elles aussi, l’égalité des chances des enfants. C’est bien là l’angle mort de la politique du ministre Proulx.