Il faut améliorer la loi sur les conflits d’intérêts

Pris en défaut en décembre 2016 pour ses vacances chez l’Aga Khan, le premier ministre Justin Trudeau se montre maintenant ouvert à donner plus de muscles à la Loi sur les conflits d’intérêts. Ce n’est pas trop tôt, la commissaire sortante aux conflits d’intérêts et à l’éthique le recommandant depuis des années.

Le rapport de la commissaire Mary Dawson sur le voyage du premier ministre sur l’île privée de l’Aga Khan a eu l’effet d’un coup de tonnerre en décembre. Justin Trudeau, disait-elle, avait enfreint quatre articles de la Loi sur les conflits d’intérêts, une première pour un premier ministre canadien.

Considérant jouir de l’hospitalité d’un ami, M. Trudeau était persuadé de respecter les règles, au point de ne même pas demander l’avis de Mme Dawson avant de s’exécuter. Mal lui en prit. Selon Mary Dawson, l’Aga Khan n’était pas vraiment un ami intime du premier ministre. Et même si cela avait été le cas, elle lui aurait déconseillé d’y aller, car les organisations charitables de l’Aga Khan traitent avec le gouvernement et un de leurs membres est même inscrit au Registre des lobbyistes.

Actuellement, la loi interdit d’accepter un cadeau « qui pourrait raisonnablement donner à penser qu’il a été donné pour influencer le titulaire dans l’exercice de ses fonctions officielles ». Il y a toutefois des exceptions, comme celle permettant les cadeaux et faveurs venant de parents ou d’amis. Selon la commissaire, cette exception devrait disparaître, et elle a raison.

Ce n’est pas le seul article qui devrait être modifié. Quand on a appris cet automne que le ministre des Finances, Bill Morneau, ne s’était pas départi de tous ses avoirs dans l’entreprise familiale Morneau Shepell et n’avait pas confié la gestion du reste de sa fortune à une fiducie sans droit de regard, la surprise fut générale. Après tout, la loi exige des ministres qu’ils vendent ou confient leurs avoirs à une fiducie dans les 120 jours suivant leur nomination. Mais il y a une échappatoire qui permet à un ministre de confier la gestion de ses avoirs à un holding sur lequel il garde un contrôle indirect, ce dont M. Morneau s’est prévalu.

Le gros bon sens aurait dû lui dicter de se plier aux règles les plus exigeantes. Aux États-Unis, le secrétaire au Trésor, l’équivalent de notre ministre fédéral des Finances, est tenu de mettre ses avoirs dans une fiducie sans droit de regard. Son pouvoir d’influence sur l’économie est trop important pour risquer ne serait-ce que l’apparence d’un conflit d’intérêts. Les exigences doivent être les mêmes au Canada et s’appliquer à tous les ministres dont les décisions peuvent influer directement ou indirectement sur la valeur de leurs actifs.

Mme Dawson pense la même chose et a recommandé à plus d’une reprise de corriger la loi en ce sens. En vain. Après les révélations au sujet de M. Morneau, l’opposition a pris le relais, sans succès.

 

Jusqu’à la semaine dernière. À la sortie de la réunion de son cabinet vendredi, M. Trudeau a entrouvert la porte à des changements. « Je suis toujours heureux d’accepter les recommandations d’experts et de différentes personnes, comme la commissaire sortante ou l’actuel commissaire, afin de nous assurer que nos institutions et les gens chargés de les protéger puissent continuer à faire ce qu’il y a de mieux et de la meilleure manière pour les Canadiens », a-t-il dit.

Voilà qui est bien venu, mais il est dommage qu’il ait fallu un rapport accablant pour en persuader M. Trudeau. Ce n’est pas la première fois qu’il attend d’être dans l’embarras pour voir la lumière. Il a fallu un tollé pour qu’il renonce à ses controversés cocktails privés avec de riches donateurs libéraux et que son gouvernement présente des changements à la loi électorale pour interdire cette pratique.

La Loi sur les conflits d’intérêts doit être modifiée afin d’éliminer l’échappatoire permettant aux ministres de garder un contrôle indirect sur leurs actifs et d’accepter de généreux cadeaux de leurs amis qui ont des liens d’affaires, financiers ou réglementaires avec le gouvernement. Un minimum de jugement ou de gros bon sens aurait dû suffire à éviter ces problèmes, mais certains, comme on l’a vu avec MM. Trudeau et Morneau, ont besoin de voir certaines choses écrites noir sur blanc dans une loi pour comprendre qu’elles ne se font pas. Et malheureusement, ils ne sont certainement pas les seuls.

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