Le chaudron irakien
La situation en Irak est désormais inextricable. Aux prises avec une insurrection mieux organisée que celle envisagée, le Pentagone a ordonné une addition de troupes à celles actuellement sur place. Plus précisément, il a été décidé de mettre un terme au remplacement progressif des contingents amorcé le mois dernier. Conséquemment à cette mathématique toute militaire, le nombre de soldats est d'ores et déjà plus important que ne le souhaitait l'état-major et surtout... le président Bush! On imagine difficilement comment ce dernier va battre le rappel de la troupe, comme il l'espérait, dans le courant de l'été.
Depuis les faits sanglants de la fin de semaine, les militaires font face à plus d'un front. À celui, classique si l'on peut dire, des sunnites qui croisent le fer dans la région de Tikrit s'est donc ajouté celui des chiites en butte contre leur propre hiérarchie. On pense évidemment à tous ces fidèles de l'imam al-Sadr qui, contrairement au grand ayatollah al-Sistani, rêvent d'un Irak construit sur le modèle de la République islamique d'Iran. Cette division de la communauté chiite s'annonce d'autant plus redoutable, pour l'administration Bush s'entend, que le caractère de la division en question est essentiellement religieux. Détaillons.Dans le cadre des discussions consacrées à la composition d'une constitution, les partenaires concernés ont convenu que le Coran serait une source parmi d'autres du corpus législatif à venir. On se souviendra que les représentants religieux membres du Conseil de gouvernement provisoire avaient profité des absences de plusieurs leaders laïques invités par Bush à assister au discours sur l'état de l'Union pour clamer le Coran source unique des lois. Un geste que Bremer s'était empressé d'invalider une fois tout le monde assis autour de la table.
Cet épisode expliquerait en grande partie la position adoptée par Sadr qui, en la matière, s'avère un fanatique pur sucre. Il veut le Coran, rien que le Coran. À cet égard, et seulement à cet égard, il partage les vues de la filière terroriste Ansar al-Islam qui, elle, épouse les conceptions du très obscurantiste wahhabisme. Quoi qu'il en soit, sur le front constitutionnel, Sadr et Sistani militent pour des approches différentes entre elles. Sadr est à la fois fanatique et pressé, Sistani est plus politique et patient.
La difficulté, tant pour Sistani que pour les forces de la coalition, se résume à un mot: le fusil. Fort de la décision qu'il a prise en juin 2003, Sadr est à la tête d'une milice, l'Armée du Mahdi, qui compte 10 000 hommes. Sistani n'en a pas. On craint d'ailleurs que Sadr ne mette à profit l'important pèlerinage du 12 avril prochain pour étendre géographiquement son emprise sur les lieux saints du chiisme.
Pour l'heure, Sistani adopte le profil bas. Il craint comme la peste d'être le témoin de la répétition d'un fait historique symbole de tous les maux du chiisme irakien. Il y a 80 ans de cela, les chiites s'étaient rebellés contre l'occupant britannique. Qu'avait fait ce dernier lors de la création de l'Irak, en 1932? Il avait remis les clés du pouvoir entre les mains sunnites.
Tout bien considéré, c'est à se demander si les stigmates de la guerre civile ne sont pas tous rassemblés.