Les effets pervers des élections à date fixe au Québec

Le 1er octobre prochain, le Québec connaîtra sa première élection à date fixe pour choisir les députés de l’Assemblée nationale. Cette mesure empêche normalement le premier ministre sortant de déterminer à sa guise la date du scrutin de façon à favoriser la réélection de son parti. Si elle est plus respectueuse des principes démocratiques, l’élection à date fixe n’est pas dépourvue d’effets pervers, qui ont déjà commencé à se manifester et qui pourraient s’amplifier.

Maintenant que nous avons des élections à date fixe, le gouvernement libéral, se considérant en pleine pré-campagne électorale, devient des plus prévisibles. À la faveur de la dernière mise à jour économique et financière présentée en novembre par le ministre des Finances Carlos Leitão, il a annoncé des baisses d’impôt d’un milliard, tandis que Philippe Couillard laissait entendre récemment que d’autres allégements fiscaux seraient contenus dans le prochain budget en mars.

Remarquez que, élections à date fixe ou non, les gouvernements ont eu tendance à faire preuve de prodigalité à l’approche de l’élection générale. En ce sens, le gouvernement Couillard n’agit pas autrement que d’autres gouvernements au Canada en pareille circonstance. En 2007, Jean Charest avait poussé le bouchon encore plus loin en décrétant, en pleine campagne électorale, une baisse d’impôt de 700 millions.

Alors que les élections sont en vue, un gouvernement qui cherche à se faire réélire privilégiera souvent des baisses d’impôt à une hausse des dépenses publiques visant à améliorer les services à la population. Les baisses d’impôt lui procurent davantage de dividendes électoraux, croit-on.

Son comportement a peu à voir avec la recherche du bien commun ; il témoigne plutôt de sa volonté d’utiliser tous les moyens à la disposition d’un gouvernement au pouvoir pour se maintenir en selle.

À moins d’un an des élections, la publicité gouvernementale devient souvent insidieuse. Les messages publicitaires, à l’heure de grande écoute, pour faire mousser la mise à jour économique ou sur Investissement Québec et la stratégie maritime sont de cet ordre. Le jupon dépasse : il est facile d’y voir de la propagande partisane.

D’ailleurs, le gouvernement Couillard s’est doté en 2015 d’un slogan — « Ensemble, on fait avancer le Québec » — qui ressemble au slogan électoral des libéraux en 2014, « Ensemble, on s’occupe des vraies affaires ». Utilisé à plusieurs sauces ces derniers temps, le slogan gouvernemental est tellement électoral qu’on ne saurait se montrer surpris si le Parti libéral l’adoptait pour la prochaine campagne.

À ce détournement de la publicité gouvernementale à des fins partisanes pourraient s’ajouter, d’ici le déclenchement de la campagne le 29 août prochain, des publicités du PLQ, que ce soit dans les médias traditionnels ou dans les médias sociaux, sans que ces débours soient considérés comme des dépenses électorales.

C’est un des effets pervers des élections à date fixe : la campagne électorale commence dans les faits bien avant la campagne officielle. Or, d’ici au 29 août, les partis pourront ouvrir allègrement leurs goussets sans que leurs dépenses soient comprises dans les plafonds imposés aux partis durant les 33 jours de la campagne. Les groupes de pression pourront faire de même pour favoriser l’un des camps. Les partis et les groupes les plus nantis sont par là avantagés.

En 2015, avant la dernière élection fédérale, l’ex-directeur général des élections du Canada, Jean-Pierre Kingsley, avait sonné l’alarme, estimant que les élections à date fixe avaient faussé le jeu en rendant caducs les plafonds des dépenses électorales. Des changements s’imposaient, selon lui ; au Royaume-Uni, par exemple, les dépenses électorales sont plafonnées pour une période de dix mois avant la dissolution du Parlement. De son côté, le directeur général des élections du Québec, Pierre Reid, entend observer la situation en 2018 et proposer, s’il les juge nécessaires, des changements à la Loi électorale.

Évidemment, le gouvernement Couillard pourrait être sanctionné s’il en fait trop : trop de publicités gouvernementales partisanes, trop d’annonces racoleuses, trop de dépenses non comptabilisées.

« Tu penses que je m’en aperçois pas », chantait Gilles Vigneault. Les électeurs pourraient mal réagir à l’opportunisme crasse dont ferait preuve un parti aux abois.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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