Weinstein, Rozon, Salvail: un silence enfin brisé

Les allégations des derniers jours contre Gilbert Rozon et Éric Salvail n’ont pas été prouvées en cour, mais il est difficile de douter devant la cascade de témoignages au sujet de gestes à caractère sexuel posés contre des subordonnés et des artistes. Le mouvement #MoiAussi, qui a déferlé sur les réseaux sociaux dans la foulée de l’affaire Weinstein, a heureusement ébranlé la chape de plomb. Espérons que ce soit pour de bon.

C'était connu du milieu, dit-on, mais la peur de tout perdre a nourri le silence. Des victimes et des témoins. Un silence dont les agresseurs, peu importe le milieu, profitent, le sachant bien ancré.

Le viol, les agressions sexuelles, les commentaires et gestes à caractère sexuel non désirés ne sont pas le fait d’un désir sexuel. Ce sont des gestes de domination, d’intimidation et d’abus de pouvoir. Dans une relation où le conjoint se croit le maître. Dans les sports où l’entraîneur considère les athlètes comme ses pions. Au travail où le patron croit avoir un droit de cuissage sur des employés qui dépendent de lui pour gagner leur vie.

Plus un homme — parce que ce sont surtout des hommes — en mène large dans son milieu, plus son pouvoir de domination est grand. Et malheureusement, plus l’impunité fait son oeuvre. Gilbert Rozon et Éric Salvail étaient jusqu’à cette semaine deux des grands manitous du milieu culturel québécois. M. Rozon présidait le Groupe Juste pour rire, dirigeait le comité organisateur du 375e anniversairede Montréal et était le vice-président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. De gros chapeaux !

Le portrait dressé dans Le Devoir par neuf victimes de M. Rozon, la plupart témoignant à visage découvert, en offre un bon exemple. Mais ce n’est sûrement pas le seul. Le milieu du spectacle n’a pas l’exclusivité de ces comportements plus que répréhensibles.

Du plancher d’usine au bureau d’avocats en passant par le resto branché, des femmes endurent des commentaires humiliants, repoussent des mains baladeuses, des avances sexuelles, quand elles ne subissent pas des agressions. Tout cela parce que le rapport de force est inégal et la honte, portée trop souvent par les victimes plutôt que par les agresseurs.

Les allégations contre Gilbert Rozon illustrent, de façon exacerbée, ce déséquilibre délétère. Mais comme le montrent les témoignages sur les réseaux sociaux, le rapport de force inégal entre hommes et femmes ne vient pas de nulle part. Il est inscrit dans notre culture, se manifeste au quotidien et est internalisé dès un jeune âge.

 

Des hommes sont victimes de ce genre d’abus, mais leur vécu quotidien est fort différent de celui des femmes.

Prenons le cas du harcèlement. On le définit généralement comme un comportement répété d’une personne envers une autre pendant un certain temps. Mais les mêmes gestes, posés au fil des jours par des personnes différentes, paraissent isolément insignifiants. Aux yeux d’autrui, du moins. Qui penserait se plaindre de remarques humiliantes ou d’un sifflet vulgaire dans la rue, de regards qui vous déshabillent avec insistance dans le métro, de frôlements non désirés dans un lieu public ? Ce harcèlement quotidien, à la pièce et qui commence à un jeune âge, a pourtant un effet cumulatif.

Pour une femme, cela veut dire apprendre à vivre dans un perpétuel état de vigilance. Et se sentir trop souvent coupable (d’avoir baissé la garde) quand il lui arrive un incident. Alors elle se tait. Elle craint de ne pas être crue ou qu’on la trouve bien susceptible.

Ce n’est pas la première fois que des gens de pouvoir sont pris la main dans la culotte de subalternes, mais chaque nouvelle révélation crée un ressac plus fort. On ne le prend plus et c’est tant mieux. Mais il faudra plus que des mécanismes de plaintes ou une campagne sur les médias sociaux pour en venir à bout. Briser le silence ne doit pas être le fardeau des victimes, il faut commencer par réagir quand on est témoin de ces gestes.

Il faut aussi changer au quotidien, examiner l’éducation qu’on offre aux enfants à la maison, à la garderie et à l’école, s’interroger sur ce à quoi on les expose à travers la publicité, la culture, les sports et le jeu, débusquer le sexisme sournois qui s’infiltre partout. Comme l’a dit la nouvelle ministre québécoise de la Condition féminine, la féministe Hélène David, un changement de fond s’impose pour en arriver à une nouvelle culture des relations hommes-femmes. Une relation ayant pour guide le respect.

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