Taxe Netflix: en finir avec l’iniquité

La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, peine à justifier le traitement royal accordé à Netflix depuis une semaine. Les orientations de sa politique culturelle sont si confuses qu’elles invitent à l’action à Québec.

« Netflix collecte les taxes là où c’est requis par la loi » ,a fait savoir un porte-parole de la multinationale américaine à la suite du tollé suscité par le congé fiscal que lui a accordé le gouvernement Trudeau.

Voilà une déclaration qui a le mérite d’être claire. Taxez-nous par la force de la loi et nous payerons, semble dire Netflix. Il suffirait donc d’un peu de volonté politique, une denrée rare à Ottawa lorsqu’il est question de commerce électronique, pour exiger qu’une entreprise étrangère s’acquitte de ses obligations fiscales au Canada.

Pourtant, depuis le dévoilement de sa politique culturelle jeudi dernier, Mme Joly s’empêtre dans les déclarations confuses et contradictoires. Impossible de taxer Netflix parce que l’entreprise n’a pas de siège social au Canada, dit-elle à un micro. On aurait pu le taxer, mais on a choisi de ne pas le faire, dit-elle à un autre. Un ramassis de cassettes à donner le tournis.

L’extraterritorialité de Netflix sert de prétexte à l’inaction. Aucun pays n’a réussi à taxer Netflix, vraiment ? Au moins 16 pays l’ont fait, le dernier en date étant l’Australie avec une taxe de 10 %. Taxer les grands joueurs du numérique, « ça se fait partout, et ça devrait naturellement aussi se faire au Canada », a dit le directeur de l’OCDE, Pascal Saint-Amans.

Jusqu’à présent, Mme Joly et les libéraux donnent l’impression de brader à la pièce la souveraineté culturelle du Canada, à coup d’un demi-milliard, en négociant des ententes secrètes avec des géants de la Silicon Valley. Le symbole est fort. Les entreprises du GAFA (Google, Amazon, Facebook…) ont atteint une telle influence qu’elles peuvent maintenant négocier d’égal à égal avec des États, sans la moindre obligation de reddition de comptes. À preuve, l’entente avec Netflix n’a toujours pas été dévoilée.

Il restera toujours les Peter Simons ou les Illico de ce monde pour payer leurs taxes sur le commerce électronique, pendant que les géants étrangers, en parfait contrôle de la distribution et de la monétisation, se régaleront au buffet de l’injustice fiscale. Il n’y a pas que les médias, les artistes et les détaillants pour se scandaliser de ce traitement préférentiel. Selon le Conseil du patronat du Québec, le gouvernement Trudeau « fait malheureusement preuve d’un laxisme et d’une apathie des plus choquants » en mettant en avant « un concept d’équité à géométrie variable et selon des objectifs opaques ». L’expression est encore trop polie.

L’incohérence de la politique culturelle fédérale, le consensus des indignés et les risques qui pèsent sur l’exception culturelle exigent une intervention de Québec. Le ministre de la Culture, Luc Fortin, a manifesté son intention d’imposer la TVQ à Netflix. Il a reçu l’appui considérable de son collègue des Finances, Carlos Leitão. Dans une motion unanime, l’Assemblée nationale a réclamé l’équité fiscale, non seulement pour Netflix, mais pour toutes les plateformes numériques. C’est la voie à emprunter.

Au-delà du débat sur l’équité fiscale, les vents adverses qui soufflent sur l’exception culturelle requièrent une vigilance du Québec, pour s’assurer que la voix de nos artistes et l’inspiration de nos créateurs ne seront pas noyées dans le trop-plein du numérique. Les contenus d’ici, pour un public d’ici, seront-ils mis en valeur par des algorithmes aveugles à la sensibilité francophone ?

Dès l’adoption de la première politique culturelle, en 1993, la ministre responsable, Liza Frulla, affirmait l’importance pour le Québec d’obtenir les pouvoirs exclusifs en culture pour assurer la vitalité de notre identité collective. Cette revendication datant de l’ère prénumérique est plus pertinente que jamais.

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