Nos élus doivent dénoncer la violence d’État

Les images de la répression exercée par les policiers et la garde civile espagnols envers les Catalans qui se rendaient aux urnes dimanche sont révoltantes. La violence d’État dont furent la cible des citoyens qui ne cherchaient qu’à voter pacifiquement n’est pas belle à voir. À l’instar de l’Union européenne et de la plupart des pays européens, la France au premier chef, les gouvernements canadien et québécois se sont montrés timides, se gardant bien de critiquer ouvertement l’État espagnol. Or, c’est la démocratie qui a été foulée aux pieds en Catalogne, et c’est ce qu’il leur faut réprouver.

Le gouvernement espagnol, issu d’une coalition minoritaire dirigée par Mariano Rajoy, du Parti populaire, une formation conservatrice, s’est fermement opposé à la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne en s’appuyant sur la Constitution de l’Espagne et sur des décisions des cours de justice. Les juges ont déclaré illégale cette consultation populaire, comme celle qui l’a précédée en 2014. Le droit et les juges sont derrière l’État central.

Cette fois-ci, Madrid a choisi la manière dure, répressive et antidémocratique, en recourant à quelque 10 000 policiers et membres de la garde civile pour empêcher les gens de voter. De hauts responsables du gouvernement catalan et des fonctionnaires furent écroués, et des maires furent menacés de poursuite. Comme le rapportait Le Devoir, les forces de l’ordre espagnoles ont fait du simple appui au « oui » un délit d’opinion, arrêtant un automobiliste pour saisir une boîte de t-shirts sur lesquels le mot «  » était imprimé dans une vingtaine de langues. Ce serait d’un ridicule consommé s’il ne s’agissait pas d’une perversion du droit et de la justice. Pour un Catalan, revendiquer le droit de participer au référendum, même si c’est pour voter contre l’indépendance, était illégal.

Il semble bien que le gouvernement Rajoy ait plutôt attisé le sentiment indépendantiste chez les Catalans, sans réussir à discréditer le résultat du référendum. Même si la police a empêché 700 000 personnes de voter, selon Barcelone, 42 % des électeurs inscrits sont parvenus à le faire — à leurs risques et périls, parfois —, et l’appui au « oui » s’est élevé à 90 %. Même si la participation n’a pas franchi la barre des 50 %, le référendum est significatif du fait même qu’il a été entravé.

Dimanche, le premier ministre Philippe Couillard a appelé « les parties à cesser tout acte de violence, notamment les autorités là-bas », comme si les citoyens en étaient aussi responsables.

À la Chambre des communes, lundi, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a pris le parti de l’Espagne. La Catalogne est « une affaire interne », a-t-elle dit. Ottawa ne condamne pas la violence, mais s’en dit très préoccupé, sans l’attribuer à l’État. « Nous espérons qu’une solution sera trouvée à travers le dialogue pacifique et dans le contexte de la Constitution », a-t-elle dit.

Or, c’est justement cette Constitution, ou l’interprétation qu’en ont faite les juges nommés par Madrid, qui a privé la Catalogne de son statut de nation autonome. En 2006, les parlements espagnol et catalan ont adopté un nouveau statut pour la Catalogne, statut ratifié par les Catalans dans un référendum. Or, le Parti populaire de Rajoy, alors dans l’opposition, s’est adressé avec succès au Tribunal constitutionnel pour faire déclarer inconstitutionnel ce statut autonome. Mme Freeland voudrait que le gouvernement catalan de Carles Puigdemont entame un « dialogue pacifique » avec Rajoy dans le respect de la Constitution. Voilà un scénario qui semble des plus improbables. Ce n’est pas pour rien que Puigdemont a plutôt lancé un appel pour une médiation internationale. Mercredi, le Parlement catalan doit prendre acte des résultats du référendum, ce qui peut conduire à une déclaration unilatérale d’indépendance, comme le prévoit la loi sur le référendum.

En refusant de blâmer la violence d’État dont a fait preuve Madrid, le Canada a fait primer ses intérêts stratégiques sur les principes démocratiques qu’il devrait pourtant chérir. Soulignons qu’Ottawa a aussi un intérêt interne à prendre le parti de cet État unitaire, même si sa crédibilité, à titre de chantre de la démocratie et des droits de la personne, en prend pour son rhume.

De son côté, Philippe Couillard n’a pas les mêmes contraintes. Le premier ministre aurait dû se porter à la défense du peuple catalan, avec lequel les Québécois ont tissé des liens, et déplorer les accrocs à la démocratie en Catalogne. Lâchés par l’Union européenne et ignorés par la communauté internationale, les Catalans méritaient l’appui moral du Québec.

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