Accès à l’information: retourner à la planche à dessin

Présenté en juin 2016, le projet de loi C-58 modifiant la Loi sur l’accès à l’information semblait, à première vue, un pas en avant intéressant. Plus le temps passe, plus les pièges cachés dans ses replis deviennent apparents et inquiétants. Comme le note la commissaire à l’information, Suzanne Legault, dans un rapport publié jeudi dernier, on fait carrément face à une « régression des droits existants ».

Justin Trudeau était catégorique en juin 2015 en présentant sa politique pour « un gouvernement juste et ouvert ». Son gouvernement serait transparent et prêt à rendre des comptes. Par conséquent, il réformerait pour le mieux la Loi sur l’accès à l’information. Il promettait entre autres choses de donner au commissaire un pouvoir d’ordonnance et de soumettre les bureaux du premier ministre (BPM) et des ministres à l’ensemble de la loi, y compris au regard du commissaire.

Le programme électoral libéral publié en pleine campagne apportait toutefois une discrète nuance passée largement inaperçue. Le BPM et les bureaux de ministres seraient soumis à la Loi, mais on ne précisait plus que ce serait à l’ensemble des réformes promises.

Un détail ? On réalise aujourd’hui qu’il était capital. Pour le BPM et les bureaux de ministres, on propose en fait la création d’une section entièrement nouvelle qui aura la particularité d’être à l’abri du regard du commissaire. Cette section impose le dévoilement automatique de certaines informations, sans plus.

Actuellement, la plupart de ces informations peuvent faire l’objet d’une demande d’accès. La réponse peut être caviardée, mais le demandeur peut se tourner vers le commissaire pour qu’il vérifie la justesse des exceptions invoquées. En vertu de C-58, les documents dévoilés de façon proactive pourront être caviardés, mais sans qu’on puisse s’en plaindre.

Dans sa version actuelle, C-58 rendra la vie difficile aux demandeurs en exigeant d’eux des précisions sur leurs demandes, ce qu’il n’est pas toujours possible de faire. Le gouvernement ne fera rien pour leur faciliter la tâche puisque les ministères et organismes ne seraient plus tenus de publier chaque année un recueil où sont décrits le fonctionnement de l’organisation, ses responsabilités, les catégories de documents sous son contrôle et ainsi de suite. Sans cet outil, quiconque n’est pas habitué au fonctionnement du gouvernement naviguera à l’aveuglette.

Ce n’est pas tout. Le projet de loi offre de nouvelles échappatoires aux ministères et organismes pour ignorer une demande. Le manque de détails sera un nouveau motif, mais aussi l’ampleur de la demande, que celle-ci soit fondée ou non. Et si un ministère juge qu’une demande est vexatoire ou frivole, il pourra la refuser sans consulter le commissaire au préalable.


 

Le rapport de Mme Legault répertorie les principaux éléments du projet de loi et les compare à la loi existante. Des 19 dispositions décortiquées, seulement deux sont jugées positives, et deux autres le sont avec un point d’interrogation. Douze, par contre, représentent un recul souvent très sérieux. La semaine dernière, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec et les Canadian Journalists for Free Expression ont demandé de concert le retrait de C-58.

Le plus désolant est que ce projet insatisfaisant s’ajoute à un bilan déplorable des libéraux fédéraux en matière d’accès à l’information, selon un examen réalisé par Médias d’info Canada, un regroupement de médias imprimés et numériques. Publié la semaine dernière, son rapport indique que les délais de réponse aux demandes d’accès se sont allongés sous les libéraux au point d’être pires qu’à la fin du règne Harper. C-58 n’offre pourtant pratiquement rien pour corriger ce problème bien connu.

Lors du débat en deuxième lecture, le parrain du projet de loi, le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, a répété plusieurs fois qu’il s’agissait d’un premier pas. Ce n’est pas assez. Adoptée en 1983, la Loi sur l’accès à l’information n’a subi aucune mise à jour majeure depuis, alors qu’elle en a grandement besoin. Pour vraiment respecter leur engagement électoral à cet égard, les libéraux n’ont que deux choix. Ils doivent profiter de l’étude en comité qui démarrera bientôt pour modifier en profondeur leur projet de loi. Sinon, le gouvernement doit le retirer et retourner à la planche à dessin, car, dans sa version actuelle, C-58 ressemble plus à une promesse en partie trahie qu’à une promesse tenue.

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