Réforme de l'aide sociale: des sanctions futiles

Les sanctions qui seront imposées aux prestataires d’aide sociale sont futiles. Pourquoi le ministre de l’Emploi, François Blais, les défend-il avec autant de vigueur?

Les directeurs de santé publique de Montréal (Richard Massé) et de la Montérégie (Julie Loslier), deux régions qui regroupent près de la moitié des bénéficiaires d’aide sociale au Québec, dénoncent avec vigueur les effets indésirables de la réforme du ministre Blais.

En voulant imposer des pénalités financières aux assistés sociaux, dans le cadre du programme Objectif emploi, Québec risque de mettre en danger la santé des plus vulnérables et d’amplifier les problèmes de santé publique, affirment M. Massé et Mme Loslier dans un mémoire commun (Protéger les plus vulnérables, un impératif de santé publique).

Les directeurs de santé publique ne s’opposent pas aux objectifs du programme. Ils jugent en effet louable d’accompagner les demandeurs d’aide sociale dans une démarche pour trouver un emploi ou acquérir une formation. Ces mesures ont fait la preuve d’une relative efficacité à long terme.

Le Québec ne perdra donc pas de son vernis progressiste et inclusif parce qu’il décide de rendre l’aide sociale conditionnelle à certaines obligations. Le programme Objectif emploi vise 17 000 assistés sociaux, dont les deux tiers sont dans la jeune trentaine. Il serait irresponsable de leur envoyer un chèque sans se questionner davantage sur leurs perspectives d’avenir.

Mais l’approche du ministre Blais est-elle appropriée ? Comme l’atteste une revue de la littérature scientifique menée par les directeurs de santé publique, la réussite des projets d’intégration forcée à l’emploi est « très partielle et mitigée par plusieurs obstacles ». Les sanctions réduisent la qualité des emplois occupés, autant pour ce qui est du salaire que de la durée.

Les programmes coercitifs agissent comme « un mécanisme de piégeage » de citoyens à la marge, contraints d’accepter des postes qui ne les feront pas sortir du cycle de la pauvreté. Mieux vaudrait leur trouver des emplois de transition subventionnés, afin de leur permettre de regagner le marché du travail et de profiter de l’un de ses bénéfices intangibles : la socialisation. Les bonifications à l’aide sociale prévues dans Objectif emploi vont d’ailleurs dans ce sens. Un participant volontaire pourra toucher jusqu’à 986 $ par mois.

Ne perdons pas de vue la vulnérabilité des clientèles ciblées par ce programme : la détresse mentale, la sous-scolarisation et l’analphabétisme pèsent comme autant de freins à la recherche d’un travail pour bon nombre d’entre eux. La menace de couper leurs prestations mensuelles de 628 $ à 404 $, s’ils n’acceptent pas de jouer selon les nouvelles règles du jeu, ne les rendra pas plus qualifiés par enchantement. C’est en amont que l’avenir se joue, par l’adoption d’un plan de lutte contre la pauvreté qui préconisera les interventions précoces dans la petite enfance.

Les sanctions risquent d’accroître l’insécurité alimentaire et l’itinérance chez les assistés sociaux, font remarquer les directeurs de santé publique. À Montréal, il faut au moins 900 $ par mois pour obtenir le strict minimum : un toit et un panier d’épicerie. Avec 404 $ dans les poches, bon nombre d’assistés sociaux auront le choix d’avoir faim ou froid, ou un peu des deux. Le ministre Blais juge infondées les inquiétudes de la santé publique. Les sanctions seront graduelles et resteront peu ou pas appliquées. Si le risque est théorique, pourquoi maintenir les pénalités ?

Le nombre de prestataires de l’aide sociale est à son plus bas niveau depuis 1976 (410 847 personnes). Plus de la moitié d’entre eux quittent l’aide sociale après un an. Quel est le mal qu’il faut curer avec des pénalités, sinon celui de la solidarité à l’égard des plus vulnérables ?

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