Que de chemin parcouru, que de chemin à faire

Le Devoir vous offre un cahier spécial sur l’un des plus importants repères de l’histoire du Québec : l’adoption de la loi 101 par le gouvernement de René Lévesque il y a 40 ans aujourd’hui.

Cette loi a tout changé, comme le rappellent nos journalistes et des commentateurs qui furent aux premières loges de cette réussite collective. C’est le propre du Devoir que de prendre du recul pour mesurer le chemin parcouru, non pas pour glorifier les combats du passé, mais pour mieux reprendre le débat d’idées et inciter à la réflexion sur le sens de l’engagement politique.

 

Dans son ouvrage phare, L’embarras des langues, le linguiste Jean-Claude Corbeil, associé de près à la rédaction de la Charte de la langue française, rend hommage au courage des deux ministres qui ont donné naissance à nos lois linguistiques : le libéral François Cloutier, qui a fait du français la seule langue officielle du Québec, et le péquiste Camille Laurin, le grand architecte de la loi 101.

Illustration: Garnotte La caricature de Garnotte, réalisée dans le cadre du dossier sur les 40 ans de la loi 101.

Le contraste entre les époques est frappant. Dans un autre siècle, l’essor du français préoccupait autant le PLQ que le PQ. Les nationalistes logeaient dans toutes les familles politiques, sauf chez Trudeau père. Aujourd’hui, le gouvernement Couillard réduit à l’agitation d’un « chiffon linguistique » les interrogations légitimes sur l’avenir du français.

Il revient pourtant au gouvernement d’assumer une véritable responsabilité à l’égard de la pérennité du français. Le fait d’affirmer que « tout va bien » est un piètre substitut à une politique linguistique digne du XXIe siècle.


 

La loi 101 est un projet révolutionnaire. Selon le juriste Michael N. Bergman, c’est la loi la plus importante de l’histoire du Québec et du Canada, dans la mesure où elle a consacré la préséance d’un droit collectif sur les droits individuels. Au gré des contestations, les tribunaux supérieurs ont affaibli sa portée, un phénomène qui a contribué à l’instauration d’une relative paix linguistique, à laquelle ne répugne pas la majorité silencieuse. Le respect des droits linguistiques des minorités, au même titre que la richesse découlant de l’apprentissage d’autres langues que le français, faisait partie intégrante des principes supportant la Charte du Dr Laurin.

Son projet était révolutionnaire parce qu’il portait la promesse d’une libération. Comme il l’expliquait en 1991, il souhaitait « réparer les blessures et méfaits d’une longue infériorisation politique, économique, sociale et psychologique [et] redonner à notre peuple fierté, confiance et estime de soi ».

La loi 101 était un prélude à l’indépendance. Elle s’est avérée si efficace pour persuader les fils et les filles des Canadiens français qu’ils étaient enfin maîtres chez eux que l’appel du Oui s’est perdu dans un bruit de fond. C’est l’un des paradoxes dont les Québécois ont le secret. Nos révolutions sont tranquilles. Et nos visées d’indépendance se passent d’un pays.

 

Qu’en est-il de la vitalité du français dans le Québec métissé de 2017 ? Faut-il faire preuve d’optimisme ou de pessimisme ? Parlons plutôt de lucidité.

 

Le poids du français dans la fédération canadienne ne cesse de diminuer, entraînant à sa perte l’idée même d’un État binational. Au Québec, la population de langue maternelle française est passée de 79,7 % à 79,1 % entre 2011 et 2016. Dans les langues d’usage à la maison, le français est demeuré stable (de 87 % en 2011 à 87,1 % en 2016), tandis que l’anglais a progressé (de 18,3 % à 19,2 % en cinq ans).Par contre, près de neuf enfants d’allophones sur dix fréquentent les écoles francophones. Et 94 % de la population connaît assez bien le français pour soutenir une conversation, un indicateur qui reste également stable.
 

Le portrait n’est ni rose ni noir, mais ce n’est pas une raison pour se complaire dans le relâchement et l’apathie.

À l’heure du bilan, il est frappant de constater à quel point les dimensions juridiques ont monopolisé le débat linguistique. À force de lutter pour faire du français la langue d’usage et de la communication (un impératif tout de même !), nous avons perdu de vue d’autres composantes tout aussi importantes d’une politique linguistique, à savoir l’éducation, le travail et l’intégration des immigrants que nous avons choisi d’accueillir. Du point de vue d’un immigrant, la plus grande motivation à apprendre et à utiliser le français réside dans la possibilité de tisser des liens sociaux et de travailler dans cette langue. C’est pourquoi il faut renforcer le lien entre la francisation et l’intégration.

Accroître les budgets alloués à la francisation et à l’intégration, étendre l’application de la loi 101 aux entreprises de 11 à 49 personnes et aux entreprises de compétence fédérale, valoriser l’enseignement du français et la compétence des maîtres à toutes les étapes du parcours scolaire : voilà une série d’initiatives qui permettraient de reprendre l’élan.
 


La population en exige-t-elle autant ? L’attrait de l’anglais est indéniable, comme en témoignent les résultats troublants de notre sondage Léger. Les Québécois appuient en majorité le libre choix pour ce qui est de l’accès aux écoles anglophones au primaire, au secondaire et au cégep. Ce résultat est le symptôme d’un désintérêt pour les combats linguistiques, mais aussi l’expression d’une volonté des francophones de mieux apprendre l’anglais langue seconde, volonté qu’il ne faut pas négliger.


 

La langue sans la culture est un vaisseau vide, dépourvu de flancs diaphanes. Le principal défi qui nous attend consiste à ramener sur le même chemin langue et culture, alors que l’anglais s’impose désormais comme la langue des affaires, de la culture mondiale, de l’économie numérique dominée par les géants du Web, du travail dans les secteurs de pointe, de la recherche scientifique, et j’en passe. Le sociologue Guy Rocher, corédacteur de la loi 101, vise juste lorsqu’il affirme que la politique linguistique devra être pensée « pour un Québec traversé par la mondialisation sous toutes ses formes, surtout culturelle ».

Pour que le français reste au Québec ce « milieu de vie » engendré par la Charte de la langue française, il faudra faire la synthèse des politiques linguistique, culturelle, de réussite scolaire, d’intégration et de francisation. En ce sens, il reste bien du chemin à parcourir.



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