L’escalade militaire est un pari vain
Pari vain et périlleux. En tirant pour la première fois mardi un missile intercontinental, la Corée du Nord a creusé l’évidence qu’elle est devenue de facto une puissance nucléaire. Washington s’obstine à ne pas en prendre acte. Les voix sont pourtant de plus en plus nombreuses à dire qu’au jeu dangereux de l’escalade, les États-Unis devraient substituer l’ouverture du dialogue avec Pyongyang.
Entendu que la Corée du Nord est un État voyou, que le respect des droits de la personne y est une vue de l’esprit et que le régime totalitaire au pouvoir à Pyongyang a enfermé une large partie de la population dans une crise humanitaire permanente. En termes froidement géopolitiques, il s’agit néanmoins d’une dictature avec laquelle le monde doit composer, d’une manière ou d’une autre.
Alors, comment ? Le fait tout objectif demeure en l’occurrence que l’arsenal nucléaire nord-coréen est devenu réalité avec le temps et qu’à continuer à exiger de Pyongyang qu’il se dénucléarise, les États-Unis pèchent par aveuglement. Kim Jong-un ne désarmera pas. Pour la Corée du Nord, disposer de l’arme nucléaire touche à des enjeux de nature existentielle.
À moins que cette autocratie ne soit sur le point de s’écrouler, ce qui est toujours possible mais difficile à mesurer, vu l’opacité de la junte, les sanctions renforcées que voudraient faire appliquer les États-Unis et son allié français au Conseil de sécurité dans la foulée du tir de mardi ne rimeront à rien, sauf pour nuire un peu plus encore au commun des Nord-Coréens. Six régimes de sanctions ont été appliqués par l’ONU depuis le premier essai nucléaire nord-coréen en 2006. Aucun n’a fait plier Pyongyang.
Qu’en parallèle Donald Trump ait multiplié les mises en garde depuis son entrée en fonction en menaçant Pyongyang d’une réponse « sévère » — lire des frappes préventives — à son tir de missile intercontinental est tout aussi mal avisé. S’il eût été encore possible en 2006 de punir la Corée du Nord, cette option n’est plus envisageable aujourd’hui, le régime ayant entre-temps développé un arsenal trop diversifié pour que des frappes punitives soient utiles, plaident des sommités comme William Perry, ancien secrétaire à la Défense. Plus qu’inutiles, de telles frappes ouvriraient en fait une boîte de Pandore.
Plutôt que de blâmer la Chine, qui n’a aucun intérêt à voir s’effondrer son petit voisin, Washington devrait peut-être prendre Kim Jong-un un peu plus au sérieux. Il ne serait apparemment pas que le bouffon paranoïaque que la propagande occidentale aime à représenter ni le calque de son père, auquel il a succédé en 2011. Il se trouve surtout que Pyongyang s’est montré ouvert à l’idée d’un dialogue direct avec Washington. La diplomatie nord-coréenne s’est plusieurs fois dite prête, depuis un an, à cesser ses tests nucléaires et balistiques en échange de l’arrêt des manoeuvres militaires américaines au large de ses côtes. En comparaison des risques d’escalade incontrôlée, le pari d’une négociation sans prérequis de dénucléarisation s’impose plutôt urgemment, ainsi que le font entendre de plus en plus de voix nerveuses au sein de l’establishment américain. M. Trump est ici invité à faire preuve de réalisme. Pas sûr qu’il en soit capable.
Et qui sait si, ces hypothétiques pourparlers débouchant sur une réelle désescalade, cela ne conduirait pas à une décrispation du régime, de manière à permettre enfin aux Nord-Coréens de respirer un peu plus librement ?