Qu’on s’y mette!

La Cour suprême a fait subir un électrochoc au système judiciaire en juillet dernier avec son arrêt Jordan sur les délais judiciaires. Malgré l’émoi, elle garde le cap dans une nouvelle décision, rendue vendredi. Mais ses jugements ne peuvent à eux seuls venir à bout de la « culture de complaisance » qui prévaut depuis des décennies face à ces délais. Tous les acteurs du système doivent mettre la main à la pâte.

À la suite de l’arrêt Jordan, de nombreuses causes ont été abandonnées, au moins cinq pour meurtres, dont trois au Québec, et les requêtes pour arrêt des procédures se sont multipliées. Le phénomène inquiète. La Cour serait-elle allée trop loin en disant que le délai entre le dépôt d’accusation et la conclusion réelle ou anticipée d’un procès ne peut dépasser 18 mois pour les cours provinciales et 30 mois pour les cours supérieures ?

Certains le pensent, mais c’est oublier les mesures transitoires prévues dans l’arrêt Jordan, et que réexplique l’arrêt rendu vendredi. Divisés en juillet, les juges ont fait front commun cette fois. Le cadre offert aux juges et aux avocats pour déterminer si un délai est déraisonnable reste en place, car « correctement appliqué, [il] accorde déjà suffisamment de souplesse […] pour que le système de justice criminelle puisse s’adapter », écrivent-ils. Bref, ceux qui ne l’avaient pas compris n’ont maintenant plus d’excuses.

D’une seule voix, les juges rappellent tous les acteurs à leurs devoirs. « Il ne suffit pas de “ramasser les pots cassés une fois que le délai s’est produit”, écrit la Cour en citant l’arrêt Jordan. Il faut plutôt adopter une approche proactive qui permet de prévenir les délais inutiles en s’attaquant à leurs causes profondes. Il s’agit d’une responsabilité qui incombe à toutes les personnes associées au système de justice criminelle. » Et cela va des gouvernements aux avocats en passant par les différents tribunaux.

Comme nous l’avons déjà écrit dans ces pages, leurs devoirs ne commencent pas par le recours à la clause de dérogation, mais par un sérieux ménage. Dans un rapport étoffé sur les délais judiciaires publié cette semaine, le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles recommande une foule de mesures correctrices, dont tous les acteurs du système, et en particulier le gouvernement fédéral, devraient prendre note.

Parmi leurs 50 recommandations, les sénateurs exigent qu’Ottawa remplace un juge dès qu’il part à la retraite. Les nominations traînent trop. Le Code criminel doit aussi être revu pour limiter le recours aux enquêtes préliminaires et permettre de confier nombre de procédures de routine à d’autres fonctionnaires judiciaires que des juges.

Le droit à un procès dans un délai raisonnable est un élément fondamental d’une justice digne de ce nom, mais l’arrêt des procédures pour crimes graves dérange tout le monde. Ce ne peut être le seul remède dans ces cas particuliers, disent les sénateurs, qui recommandent au gouvernement fédéral de se pencher sur d’autres formes de réparation et de soumettre sa solution à la Cour suprême pour en assurer la constitutionnalité.

La culture et les pratiques bien ancrées du système judiciaire doivent changer ce qui ne se fera pas rapidement, la Cour suprême l’admet elle-même, mais il ne faudrait pas attendre d’autres jugements pour agir. Les ministres fédéral et provinciaux de la Justice doivent se revoir en septembre. Ils ont le devoir de se présenter à leur réunion avec des solutions prêtes à être mises en oeuvre. Il n’est pas normal qu’au Canada un procès criminel prenne de 5 à 10 fois plus de temps qu’au Royaume-Uni et en Australie. Cet état de fait mine plus que tout la confiance des citoyens dans le système de justice et ça ne peut durer.

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