Un polar pathétique
Les récents travaux de la commission Chamberland démontrent à quel point le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est dévoré par les luttes de pouvoir.
Le témoignage de Normand Borduas, ex-enquêteur aux affaires internes, est un polar pathétique sur la chasse aux sources. M. Borduas et ses comparses ont surveillé les échanges de courriels de sept journalistes afin de débusquer les auteurs de fuites dans les médias.
L’importance du journalisme d’enquête et de la protection des sources ne compte pas pour le SPVM. M. Borduas ignorait les arrêts clés de la Cour suprême à ce sujet. À la limite, il ne s’agit pas de sa responsabilité. Ses supérieurs immédiats et le contentieux du SPVM auraient dû alerter l’enquêteur et ses collègues quant aux écueils potentiels d’une intrusion dans les métadonnées des journalistes. Cette prudence élémentaire aurait sans doute permis d’éviter la tenue d’un exercice aussi pénible — mais nécessaire — que la commission Chamberland.
La Commission est nécessaire parce qu’aucun pouvoir ni contre-pouvoir n’a pu freiner les écarts de conduite au SPVM. Quand il est question d’identifier les « taupes » qui filent des informations aux journalistes, la fin justifie les moyens. Le SPVM était même disposé à acheminer de fausses informations aux médias, dupant à la fois les journalistes et le public, pour faire progresser ses enquêtes. Des enquêteurs seraient allés jusqu’à inventer des informations pour donner du tonus à leurs demandes judiciaires d’écoute ou de surveillance.
En deux années et demie aux affaires internes, Normand Borduas a mené une douzaine d’enquêtes. Le tiers d’entre elles impliquaient, directement ou indirectement, des journalistes. Aucune n’a débouché sur des accusations, c’est tout dire.
Certaines enquêtes portaient sur des allégations préoccupantes de déviance policière, comme cette tentative de déstabiliser le maire Denis Coderre avec une histoire de contravention. Mais la plupart des dossiers auraient pu être menés à terme sans épier les journalistes. C’est sur les policiers visés qu’il fallait se concentrer. Au contraire, les enquêteurs des affaires internes ont utilisé leurs pouvoirs à mauvais escient, cherchant à démanteler les réseaux de sources des journalistes. Il doit y avoir des priorités plus importantes que le commérage entre policiers et journalistes au SPVM.
Les raisons derrière les fuites et la chasse aux sources sont mixtes : guerre syndicale-patronale, règlements de comptes entre factions rivales à l’interne, culture obsessionnelle du secret. Les journalistes et leurs sources sont les otages de conflits permanents en voie de détruire la crédibilité du SPVM.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.