L’impossible retour en arrière

Mardi dernier, le sénateur Don Meredith a abandonné le navire plutôt que de courir le risque d’être jeté par-dessus bord par ses collègues. Ces derniers, qui menaçaient de l’expulser de la Chambre haute, peuvent passer à autre chose. Un précédent a toutefois été créé, et le Sénat ne pourra plus invoquer l’impuissance pour ne pas sévir quand un autre de ses membres sera pris en faute.

L'affaire Meredith traîne depuis juin 2015 — depuis que le Toronto Star a révélé que le sénateur avait entretenu pendant deux ans une relation de nature sexuelle avec une mineure. Ces révélations ont immédiatement conduit à une demande d’enquête de la part de la conseillère sénatoriale en éthique, Lyse Ricard.

Le 9 mars dernier, elle rendait son rapport et ses conclusions étaient limpides. Selon elle, le sénateur avait contrevenu aux règles de conduite générale adoptées en juin 2014. Elles exigent que « le sénateur adopte une conduite qui respecte les normes les plus élevées de dignité inhérentes à [sa] charge » et qu’il « s’abtien[ne] de tout acte qui pourrait déprécier la charge de sénateur ou l’institution ».

Pour le comité sur l’éthique du Sénat, le verdict était clair, d’où sa recommandation d’expulsion qui devait faire l’objet d’un vote cette semaine à la Chambre haute, rendu inutile après la démission de M. Meredith.

Mais le Sénat peut-il expulser un des siens pour d’autres raisons que celles explicitement prévues dans la Constitution ? En vertu de cette dernière, un sénateur perd le droit de siéger s’il s’absente sans motifs durant deux sessions consécutives du Parlement, s’il prête allégeance à une « puissance étrangère », fait faillite, est reconnu coupable de trahison, de félonie ou d’un « autre crime infamant » ou s’il ne respecte plus les exigences en matière de résidence.

Selon le légiste du Sénat et le comité sénatorial qui a recommandé l’éviction du sénateur Meredith, le Sénat a toujours eu le pouvoir d’exclure un de ses membres, bien qu’il ne s’en soit jamais prévalu. S’il l’avait voulu, le sénateur Meredith aurait pu contester cette position jusqu’en Cour suprême, mais il a préféré s’effacer. Pour l’instant, l’interprétation donnée par le Sénat prévaut, ce qui lui impose une responsabilité nouvelle. En entamant un processus d’expulsion basé sur le non-respect de son code d’éthique, il a établi une marche à suivre face à tout autre cas d’écart de conduite.

Il était plus que temps que la Chambre haute se donne un cadre semblable, car la quasi-impunité dont ont bénéficié trop de sénateurs doit cesser. Non élus et dotés de pouvoirs législatifs importants, les membres de la Chambre haute sont assurés de leur poste jusqu’à 75 ans. Ils n’ont pas à rendre de comptes, sauf à leurs pairs. Et encore.

Les dernières années de tourmente ont terni l’institution, mais ont eu le mérite de sortir les sénateurs de leur torpeur face à l’éthique élastique de plusieurs de leurs collègues. Le code d’éthique bonifié, la révision des règles administratives, l’examen du cas Meredith et les conclusions du comité sur l’éthique du Sénat dans cette affaire en sont des manifestations.

Cela ne corrigera le principal défaut du Sénat, qui est de manquer de légitimité démocratique, mais, tant qu’il survivra sous sa forme actuelle, il doit hausser la barre en matière d’éthique, ce qu’il a fait dans le cas de M. Meredith. Il reste maintenant à démontrer que la volonté de faire place nette, et de la garder nette, est bien réelle. On pourra en juger à la constance de sa réponse à court terme et aussi à long terme, quand la poussière des derniers scandales sera retombée.

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