Sur la mauvaise voie

Les Égyptiens ont vécu sous l’état d’urgence pendant 44 des 50 dernières années. Qu’en conséquence le président égyptien ait annoncé l’élargissement pour trois mois de l’état d’urgence, dans la foulée des attentats qui ont fait 45 morts dans deux églises coptes en ce dimanche des Rameaux, ne relève pas de l’exception. Non plus que les Coptes orthodoxes d’Égypte, qui subissent violence sectaire et discrimination en emploi depuis toujours pour ainsi dire, se sentiront rassurés par la décision du maréchal Abdel Fattah al-Sissi — d’autant que depuis son arrivée au pouvoir, il y a trois ans, il s’est doté d’amples pouvoirs de répression qui lui servent à museler toutes les oppositions, de quelque nature qu’elles soient.

Le drame est que ces nouveaux attentats commis contre la minorité copte, la communauté chrétienne la plus nombreuse du Moyen-Orient et l’une des plus anciennes, en annoncent sans doute d’autres, et de tout aussi meurtriers. Ils traduisent à la fois la capacité nouvelle du groupe État islamique (EI), qui en a revendiqué la paternité, à quitter ses repaires du Sinaï pour mener des attaques dans les grandes villes et les limites manifestes de la politique du tout-répressif mené par al-Sissi, n’en déplaise à Donald Trump qui, recevant la semaine dernière le président égyptien à la Maison-Blanche, l’a félicité pour son « travail fantastique ».

Il est tout à fait permis de penser que l’élection en 2012 de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans et par ailleurs premier président élu de l’histoire du pays, représentait une menace pour l’avenir de la fragile démocratie égyptienne née du « Printemps » de 2011. Il est encore moins interdit d’affirmer que l’éviction de Morsi l’année suivante et la montée en puissance d’al-Sissi ont anéanti les espoirs d’ouverture et renvoyé l’Égypte à l’état de dictature militaire, comme elle l’était sous Moubarak.

Un mois après le coup d’État du 3 juillet 2013 survenait le massacre de la place Rabia-El-Adaouïa, dans lequel plus de mille militants pro-Morsi, selon Human Rights Watch, mouraient aux mains des forces de sécurité. Depuis, des milliers de personnes encore ont été tuées ou emprisonnées et des centaines d’autres ont été condamnées à mort dans des procès de masse expéditifs — pendant que le nombre d’attentats terroristes a fortement augmenté.

Assiégé en Libye, en Irak et en Syrie, le groupe EI se taille en Égypte un nouveau terrain de déstabilisation, à la faveur d’une alliance avec une certaine frange des Frères musulmans. Il n’existe pas d’antidote simple au poison du terrorisme islamiste. Mais il ne se trouve ni dans l’incompétence éhontée dont fait preuve al-Sissi en matière de développement économique ni dans le mépris total qu’il affiche pour les droits de la personne.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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