Le vieux film
C’est chaque fois la même chose. Quand Ottawa en a les moyens, les libéraux fédéraux résistent difficilement à la tentation de brandir la carotte et le bâton pour obtenir des provinces qu’elles se plient aux priorités du fédéral et lui rendent des comptes dans des secteurs qui relèvent pourtant d’elles. Mais quand les coffres fédéraux sont à sec, ils ne craignent pas de couper, laissant les provinces se débrouiller avec le maintien des nouveaux services.
En matière de santé, ce scénario se répète à intervalles réguliers. Les provinces devraient avoir appris à se méfier, mais l’appât des millions finit toujours par avoir raison de la résistance de celles dont les finances sont les plus mal en point ou qui espèrent de l’aide pour résoudre d’autres problèmes urgents.
Le gouvernement Trudeau l’a bien compris. Incapable de conclure un accord avec les provinces sur les transferts en santé, il a entrepris de diviser pour régner. Au moment d’écrire ces lignes, six provinces et trois territoires avaient conclu une entente bilatérale qui leur garantit, en plus du transfert de base en santé, le versement pendant dix ans de fonds supplémentaires pour la santé mentale et les soins à domicile.
La Saskatchewan a cédé parce qu’on lui a aussi offert un répit dans un litige l’opposant au fédéral au sujet de ses cliniques privées d’imagerie par résonance magnétique. La Colombie-Britannique n’a pu résister de son côté aux millions offerts pour faire face à la crise des opioïdes qui ravage la province. Quant à l’Alberta, qui serait, selon la rumeur, sur le point de signer, on ignore quelle carotte Ottawa lui agite sous le nez.
Le Québec et l’Ontario sont les seules à encore tenir tête au fédéral, au risque de perdre leur part des fonds promis pour la santé mentale et les soins à domicile. Le ministre québécois des Finances, Carlos Leitão, refuse pour autant de céder, et il a raison. Comme l’Ontario, il s’en tient à la revendication initiale des provinces, soit un seul transfert pour la santé assorti d’un taux de croissance de 5,2 % par année afin de maintenir la part fédérale du financement des services de santé.
Les libéraux fédéraux maintiennent la formule conservatrice qui entrera en vigueur le 1er avril et qui prévoit un taux de croissance équivalant à celui du produit intérieur brut (PIB) nominal avec un plancher de 3 %. Et pas question d’inclure dans le transfert les 11 milliards consacrés à la santé mentale et aux soins à domicile. Cela veut dire que les provinces n’ont aucune garantie que le fédéral sera toujours au rendez-vous dans dix ans pour financer les services qu’il les aura incitées à créer ou à augmenter.
Pour justifier son refus, Ottawa dit vouloir s’assurer que les fonds servent aux fins prévues, que les résultats seront mesurés et que les Canadiens pourront les comparer.
Les provinces font déjà rapport à leurs citoyens, et ce sont elles qui essuient la colère de la population quand elles faillent à la tâche. Comme nous l’avons déjà dit, ce conflit est la manifestation la plus évidente d’un fédéralisme fiscal dysfonctionnel. La solution logique serait qu’Ottawa cède aux provinces l’espace fiscal nécessaire pour qu’elles financent elles-mêmes les soins de santé qu’elles offrent (avec formule de péréquation améliorée).
Les libéraux aimeraient s’attribuer le mérite pour des améliorations à des services qu’ils ne financent qu’en partie. Les provinces ne sont pas sans tache, les Québécois en savent quelque chose, mais ce sont elles qui sont et doivent être tenues responsables pour la qualité et la gestion des services de santé. Et ce n’est pas parce qu’Ottawa a de l’argent qu’il sait mieux faire. Parlez-en aux militaires, aux anciens combattants et aux autochtones.