Omar Khadr: cela a trop duré
Que faudra-t-il pour convaincre le gouvernement fédéral qu’Omar Khadr mérite réparation pour avoir été abandonné par Ottawa alors qu’il croupissait à Guantánamo ? La poursuite civile lancée par ses avocats il y a bientôt 13 ans traîne inutilement en longueur. À quelles fins ? Gagner du temps ? Mais pour qui ?
Libéré sous caution en mai 2015, Omar Khadr dépend toujours de la générosité d’un de ses avocats, Dennis Edney, pour subvenir à ses besoins. Aux prises avec des problèmes de santé chroniques et des traumatismes psychologiques attribuables à sa longue détention et aux mauvais traitements subis, il n’a pas les moyens d’obtenir toute l’aide qu’il requiert.
Bien qu’il ait applaudi il y a un an à la décision du gouvernement Trudeau d’abandonner la contestation de la mise en liberté sous caution de M. Khadr, Me Edney déplore que cela n’ait pas été suivi d’excuses et du règlement rapide de la poursuite civile entreprise par son protégé. L’avocat en a assez. Il faut que ça cesse, dit-il, pour que le jeune homme puisse espérer reprendre le cours de sa vie.
Né au Canada en 1986, Omar Khadr a été transplanté en Afghanistan à l’âge de 11 ans par son père, qui était un proche d’Oussama ben Laden. Poussé au combat, il se retrouve à l’été 2002 dans un affrontement avec des militaires américains, dont un est tué par un tir de grenade. Seul survivant de son groupe de combattants, gravement blessé, Omar Khadr est fait prisonnier, interrogé sans arrêt en Afghanistan puis transféré à Guantánamo.
Le jeune Canadien n’a alors que 15 ans. Malgré cela, le gouvernement fédéral, alors dirigé par les libéraux, n’intervient pas pour faire valoir ses droits en vertu des conventions internationales sur les enfants soldats. Les conservateurs maintiendront cette position, alors qu’on sait le jeune Khadr détenu avec les adultes et soumis à la torture. En fait, des agents canadiens se rendront sur place, non pour l’aider, mais l’interroger et partager ensuite l’information avec leurs homologues américains. Une atteinte aux droits d’Omar Khadr, tranchera la Cour suprême.
Le Canada est le seul pays occidental à avoir refusé de rapatrier son ressortissant détenu à Guantánamo alors que tous les autres l’avaient fait dès 2007. Omar Khadr ne sortira de ce goulag qu’en 2012 pour purger au Canada le restant d’une peine de huit ans reçue après avoir plaidé coupable aux accusations portées contre lui. Un plaidoyer qu’il attribue à sa peur de ne jamais sortir de cette prison.
L’histoire d’Omar Khadr n’est pas un secret, pas plus que ses blessures. Malgré cela, les procureurs du gouvernement persistent à vouloir l’interroger, ce qui l’obligerait à ressasser mauvais traitements et traumatismes. Est-ce bien nécessaire pour déterminer la responsabilité du gouvernement fédéral dans la prolongation de sa détention ou encore pour confirmer l’atteinte à ses droits ?
Le 19 décembre dernier, le juge de la Cour fédérale Richard Mosley a proposé aux parties une médiation non exécutoire pour tenter d’en arriver à une solution. Les avocats de M. Khadr ont rapidement accepté, mais il a fallu deux mois à Ottawa pour acquiescer et… maintenir sa demande d’interrogatoire, selon Me Edney. (Le 6 mars, les parties doivent se rencontrer pour préparer la séance de médiation de deux jours dont la date n’est pas arrêtée.)
Toute l’affaire Khadr est, depuis ses débuts, marquée du sceau de l’arbitraire et de l’injustice, en plus du déni des obligations internationales du Canada. Les libéraux d’abord et les conservateurs ensuite en portent le fardeau. Les libéraux ont fini par reconnaître leurs torts, mais maintenant qu’ils sont de retour au pouvoir, ils ont le devoir de mettre fin à ce calvaire.
Malheureusement, le fédéral attend trop souvent d’être au pied du mur avant d’offrir un règlement. Le juge était prêt à trancher dans le dossier des enfants autochtones victimes de ce qu’on appelle le Sixties Scoop quand Ottawa a demandé le report de la décision afin de négocier une entente.
Le 17 février, 10 jours avant le procès dans une poursuite intentée par trois Canadiens torturés dans des geôles syriennes sur la foi de renseignements communiqués par la GRC, le Toronto Star écrivait que le fédéral se préparait à offrir excuses et dédommagement financier aux trois hommes.
Pourquoi traîner de la sorte et ainsi prolonger les tourments de personnes victimes des agissements de leur gouvernement ? Ça suffit. Quant à Omar Khadr, il a déjà trop payé. Justice doit lui être faite, et vite.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.