L’efficacité au prix de l’équité
Pressé d’intervenir depuis l’acquisition de Rona par Lowe’s, le gouvernement Couillard accouche d’une politique qui n’aurait pas suffi pour bloquer une telle transaction, mais qui facilitera la relève familiale dans les entreprises. Malheureusement, au prix d’accrocs aux principes d’équité fiscale.
La perte d’un siège social n’est jamais une bonne nouvelle. Généralement, elle s’accompagne du déplacement de la haute direction, de la perte d’emplois, de la réduction des dépenses en R et D et du remplacement de fournisseurs locaux en biens et services.
Pour se consoler, on peut toujours invoquer le fait que depuis 2000 les sociétés québécoises ont fait l’acquisition de firmes étrangères pour une valeur supérieure à celle des acquisitions de sociétés d’ici par des étrangers. Mais la perte d’un siège social comporte toujours plus d’effets négatifs que l’acquisition d’une entreprise étrangère n’amène de retombées positives.
Chaque fois qu’une société d’ici est l’objet d’une acquisition, la question revient : qu’aurions-nous pu faire pour l’éviter ? La réponse n’est pas simple puisque nous vivons dans une société où chacun est libre de vendre ce qui lui appartient. Toute loi qui interdirait l’exercice de ce droit aurait pour effet d’isoler le Québec et de faire chuter la valeur de nos entreprises, comme l’a rappelé le premier ministre Couillard.
En revanche, il est possible d’inciter les propriétaires à céder le contrôle de leur entreprise à des proches ou, pour les plus grandes sociétés, à adopter des mesures défensives qui rendent plus difficile l’exécution d’une offre hostile. C’est ce à quoi se consacre la politique annoncée mardi.
Alors que certains proposaient de forcer la Caisse de dépôt et placement à intervenir directement, et d’autres de puiser carrément dans le Fonds des générations pour se porter acquéreur de blocs d’actions de contrôle de sociétés convoitées, le gouvernement opte plutôt pour une série de mesures incitatives, dont la création d’un Groupe d’initiative financière.
Ce GIF réunira les grands acteurs du milieu financier tels le Fonds FTQ, FondAction CSN, Desjardins, la Banque Nationale et Investissement Québec, afin d’assurer « une veille » de l’évolution des risques de vente ou d’offre d’achat hostile, et de conseiller le gouvernement.
Selon le chef de l’opposition, Jean-François Lisée, cela n’aurait pas empêché Lowe’s d’acheter Rona. Quoique, s’il avait existé, un tel organisme de concertation aurait peut-être eu le temps de chercher et de trouver des investisseurs désireux de faire la lutte contre Lowe’s.
Parmi les autres mesures incitatives, le gouvernement demande à Investissement Québec de « sensibiliser » les entreprises qui souhaitent s’inscrire en bourse à recourir aux actions à vote multiple, comme c’est le cas chez Bombardier, Power Corp. ou CGI. Voilà un régime qui déplaît passionnément aux chroniqueurs financiers torontois, mais qui a prouvé son efficacité pour empêcher les prises de contrôle hostiles.
En revanche, Québec annonce trois mesures fiscales très bien reçues par les milieux d’affaires, mais discutables sur le plan de l’équité. La première consiste à accorder une exonération fiscale sur les premiers 824 176 $ de gains en capital à la vente de n’importe quelle PME entre membres d’une même famille. Un cadeau de 50 millions qui a peu à voir avec le maintien des sièges sociaux. La deuxième mesure permet de reporter jusqu’à 20 ans en avant l’impôt sur le gain en capital lors d’un transfert de contrôle entre proches d’une société inscrite en bourse, sans disposition d’actions. Ce pourrait être le cas chez Jean Coutu, par exemple. Et la troisième, très inéquitable celle-là, ramène à 50 % au lieu de 25 % l’exonération du gain en capital réalisé lors de l’exercice d’options d’achat d’actions par les dirigeants d’entreprise. On comprend que Québec veut ainsi harmoniser sa pratique avec la norme canadienne pour éviter que les chefs d’entreprise choisissent une autre province comme lieu de résidence à des fins fiscales. Mais quel privilège sans rapport avec la protection des sièges sociaux ! Justin Trudeau avait promis de taxer les options comme du salaire, mais on attend toujours.
Ce n’est donc pas un hasard si le ministre des Finances vient d’annoncer qu’il renonce à rehausser l’âge d’admissibilité au crédit d’impôt en raison de l’âge pour les retraités à revenus modestes.