Un Donald Trump d’essence hindouiste
Le gouvernement national-religieux de Narendra Modi, élu massivement en 2014 sur une bruyante promesse de création d’emplois, arrive à mi-mandat. Comme Donald Trump, M. Modi a pris le pouvoir en diabolisant les minorités, les immigrants et les médias. Deux ans et demi plus tard, le bilan est en demi-teinte, pour ne pas dire négatif, d’autant que le pays est sous le choc de mesures improvisées de démonétisation.
Sujet hors champ, vu la dictature que les États-Unis de Donald Trump et que l’Europe sous menace de Brexit exercent sur l’actualité internationale. N’empêche que l’Inde est un pays de 1,3 milliard d’habitants dont le rôle dans le développement démocratique du monde, et donc pas seulement économique, ira inévitablement croissant. Viendra peut-être le jour où l’on s’en avisera. Il se trouve au demeurant qu’avant que l’élection de M. Trump — ce défi à notre santé mentale personnelle et collective — ne vienne mettre en évidence les maux de la démocratie américaine, l’Inde de M. Modi avait déjà commencé à les exposer, faisait récemment remarquer l’écrivain pamphlétaire Panjak Mishra dans un texte portant sur « l’appel incendiaire de la démagogie ».
M. Modi, chef du Parti du peuple indien (BJP), a été élu en 2014 à la faveur des scandales de corruption épouvantables qui ont grevé le gouvernement sortant du Parti du Congrès qui tenait le pouvoir depuis 2004 et de la désorganisation politique qui a marqué la fin de son règne. Néolibéral dans l’âme et membre d’une organisation hindouiste qu’il convient par association de qualifier d’« alt-right », M. Modi a vendu aux électeurs l’idée que l’excentrique démocratie indienne avait besoin d’une gouvernance fondée sur la fermeté et la logique entrepreneuriale. Il ne cache pas son admiration pour le modèle autoritaire et centralisé d’efficacité chinoise.
Comme Donald Trump qui a été élu par l’« homme blanc », encore qu’il faille nuancer, M. Modi aura fait campagne sous le couvert de l’« hindutva », idéologie identitaire ultraconservatrice voulant que ne sont véritablement Indiens que ceux qui sont hindous. Comme M. Trump, fait encore remarquer M. Mishra, Narendra Modi a compris « la terrible puissance politique du ressentiment » — à l’égard, d’une part, de l’establishment anglophone de New Delhi et, d’autre part, des 175 millions d’Indiens qui sont musulmans. Au ménage qu’il a promis de faire dans les cercles du pouvoir et de l’appareil d’État se conjugue en sous-main un projet de « nettoyage démographique » et de déni de citoyenneté parmi certaines minorités. Comme M. Trump, M. Modi a libéré la parole intolérante : les violences contre les chrétiens et les musulmans se sont multipliées depuis son élection.
Comme M. Trump encore, M. Modi est un populiste de la politique-spectacle, qui fait des one man show et ne consulte à peu près personne. Sa décision, en novembre, de démonétiser l’économie en invalidant les billets de 500 et 1000 roupies (10 et 20 dollars) au prétexte de lutter contre la corruption et l’évasion fiscale en est un exemple.
Le spectacle commence-t-il à lasser ? Sa popularité a permis jusqu’à maintenant à M. Modi de faire avaler la pilule de la démonétisation comme un mal nécessaire. Sauf que le processus de remplacement des billets a été très mal préparé. Au moins 40 % des gens n’ont pas de compte bancaire dans un pays où l’économie est largement informelle et où l’immense majorité des transactions, des plus petites aux plus grandes, se fait en argent liquide. En soumettant le pays à cet électrochoc, le gouvernement a instantanément paralysé le commerce, empêché des entreprises de verser leur salaire à leurs employés et nui à la petite économie de centaines de millions d’Indiens. Il est déjà entendu que cette démonétisation va faire reculer le PIB. Le gouvernement veut croire que son geste va porter ses fruits à long terme, mais beaucoup doutent que cela convainque vraiment les Indiens de moderniser leurs habitudes — et les corrompus de se réformer…
Rattrapé par la réalité (la moitié de la population a moins de 25 ans et les deux tiers des Indiens vivent dans la pauvreté), le ministre des Finances, Arun Jaitley, a donc déposé la semaine dernière un budget qui annonce des augmentations substantielles de crédits en infrastructures et dans la lutte anti-pauvreté. L’ancien gouvernement du Congrès n’aurait pas fait autrement. L’Inde est confrontée à une pénurie de travail qui se mesure en dizaines de millions d’emplois. Le BJP de M. Modi a été élu sur des promesses de développement manufacturier et de relance de l’investissement étranger. Pour l’instant, son cirque laisse à désirer.