Il entre en fonction
Discours d’intronisation aux accents de discours bêtement électoral, conformément à l’ultrapopulisme dont nous assomme cet homme à la fois inquiétant et risible depuis un an et demi. En son temps, Barack Obama avait invité les Américains à trouver l’« audace d’espérer ». On cherche avec le président Trump la force de ne pas se laisser complètement décourager.
S'amorce de toute évidence le mandat présidentiel le plus imprévisible, le plus objectivement anormal et controversé de l’histoire des États-Unis depuis l’après-guerre. Fidèle à la rhétorique de campagne qui l’a servi au-delà de tout entendement, le nouveau président a tenu vendredi sur les marches du Capitole — vision surréaliste — un discours d’intronisation très clairement protectionniste (« L’Amérique d’abord, et seulement l’Amérique ! ») et férocement anti-establishment, promettant de « rendre le pouvoir au peuple » et ne se privant point d’égratigner l’inaction et la déconnexion de la classe politique américaine. Qui mérite bien, du reste, de se faire faire la leçon.
Discours « radicalement populiste » comme Washington n’en a peut-être jamais vu, s’est tout de suite étonné un avisé commentateur de CNN. Et propos à la portée d’autant plus cinglante que M. Trump les prononçait en présence de la haute caste washingtonienne réunie autour de lui pour tenter de faire passer pour normale cette présidence radicalement singulière.
Reste à voir maintenant combien de temps il se passera avant que le « peuple » qui l’a élu, et dont il s’est abondamment gargarisé dans son manifeste populiste de vendredi, ne lui demande de rendre des comptes. Pour tous les emplois qu’il se vante d’avoir sauvés depuis son élection, le 8 novembre dernier, il reste en 40 ans le président désigné à entrer à la Maison-Blanche avec la pire cote de popularité. On ose espérer qu’il ne pourra pas toujours en appeler au « patriotisme » de ses adorateurs (comme sa conception de la solidarité et de l’unité nationale semble avant tout reposer sur l’amour du drapeau) et à leur esprit entrepreneurial (« Think big, dream bigger ! » a-t-il lancé en fin de discours) pour masquer ses contradictions. Il en promet trop pour ne pas décevoir.
Puisque contradictions il y a évidemment, à commencer par le fait que, tout proche qu’il soit du peuple par la magie réductrice de Twitter et de la téléréalité, il est aussi un milliardaire baignant dans les mêmes marais que les élites qu’il critique. Comme bon nombre d’ailleurs des membres de son cabinet d’hommes blancs, largement formé de ploutocrates et d’idéologues de droite et d’extrême droite. On se demande par exemple comment le président Trump, qui compte gérer le gouvernement comme une entreprise, pourra toujours réconcilier sa dite dévotion pour le commun des Américains avec son secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, ex-partenaire de Goldman Sachs accusé par les démocrates d’avoir profité de la crise de 2008 pour grossir ses revenus de dizaines de millions à coups de saisies immobilières.
C’est ainsi que, pendant que M. Trump se préparait cette semaine à prendre le pouvoir, plusieurs de ses candidats à des postes ministériels ont brillé par leur incompétence, leur insensibilité sociale et leur dangerosité devant les sénateurs en audition de confirmation.
Au titre de secrétaire à l’Éducation, la richarde Betsy DeVos est une femme qui s’est investie et a investi sa fortune dans le développement des écoles à gestion privée (les charter schools) au détriment des réseaux publics. En audience de confirmation, elle a, entre autres bêtises, refusé de se prononcer contre le port d’armes dans les écoles…
Et ainsi de suite : Tom Price, à la Santé, prêt à démolir l’Obamacare, sans égard pour les 18 millions d’Américains qui risquent de perdre leur assurance maladie. Rex Tillerson (secrétaire d’État), dont les positions sur la Chine sont telles qu’elles pourraient « facilement » déboucher sur un conflit armé, avancent des experts.
Autant de personnages avec qui il faudra dorénavant composer, comme avec M. Trump, « élu », faut-il le rappeler, avec trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. Vendredi encore, il a posé en sauveur en repromettant de « reconstruire » les États-Unis et de leur rendre leur « grandeur ». Il est en réalité plus à craindre qu’entrant en fonction, il les fasse entrer dans une ère de rapetissement.