Vision et division

Défendre le français au Québec n’a jamais été une mince affaire. Dans les années 1970, des hommes de vision comme Camille Laurin et Gérald Godin, qui réclamaient de solides mesures en ces matières, étaient souvent fustigés. On les accusait entre autres de « diviser » la population.

Il est plutôt triste de voir le chef actuel du Parti québécois, en entrevue au Devoir, reprendre à son compte l’idée des adversaires de la défense du français voulant que promouvoir cette langue ici revienne à « diviser » les Québécois. Parlant du défunt projet de loi 14 du gouvernement Marois, qui devait moderniser la Charte de la langue française, il a déclaré que certaines des mesures qu’il contenait pouvaient « avoir du sens », mais produisaient « beaucoup de division ».

N’oublions pas que la Charte de la langue française a permis au contraire d’unir les membres de cette société autour du français. Les Anglo-Montréalais sont devenus plus bilingues que jamais ; les membres des communautés culturelles aussi. Le français s’en est trouvé « dés-ethnicisé ». Puisque la langue n’est pas un trait biologique mais culturel (on peut l’apprendre ou l’oublier), elle a pu être partagée — malgré bien des réticences — au-delà des fractures ethniques. Encore fallait-il faire preuve de vision.

Malheureusement, la défense du français n’est plus à la mode. Une minorité, apparemment croissante, de Québécois ne semble plus croire à la nécessité de protéger et de promouvoir cette différence cruciale à notre identité. Il y a chez eux une sorte de désir, très puissant, de normalité anglo-américaine — ou anglo-mondiale —, sans doute en partie induit par les nouveaux médias, mais aussi par le retour d’une mentalité de type colonisé. Ils perçoivent toute volonté de défendre le français comme le geste d’une majorité tyrannique cherchant à imposer sa langue, à opprimer les minorités, à saper la diversité. Ils oublient que les francophones du Québec forment une fausse majorité. C’est d’abord une minorité sur ce continent où ils représentent une diversité en péril.

Comme formation politique et comme politicien, le Parti québécois et M. Lisée n’ont pas le choix d’être sensibles à ce nouvel — et triste — état d’esprit. Certes, ils sont loin d’avoir abandonné la défense du français. Mais en laissant d’emblée de côté des mesures qui pourraient aider le français (application de la loi 101 au cégep, réévaluation des municipalités bilingues, exception pour les familles de militaires, etc.) sous couvert de ne pas créer de « division », ils cèdent à l’argumentaire de bien des adversaires du français. Ils devraient au contraire se rappeler la phrase d’Ernest Renan : « Le moyen d’avoir raison dans l’avenir est, à certaines heures, de savoir se résigner à être démodé. »

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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