Les moyens de ses ambitions

Le Canada est une fédération où le partage des pouvoirs est souvent mal compris et les revenus nécessaires à leur exercice, mal distribués. Rien d’étonnant dans ces conditions que le fédéral et les provinces arrivent rarement à s’entendre dans le dossier de la santé. Le premier n’a pas le pouvoir constitutionnel de ses ambitions et les secondes n’ont pas toujours le pouvoir financier des leurs.

Personne n’est sorti gagnant de la rencontre fédérale-provinciale tenue lundi à Ottawa. Les provinces n’ont pas obtenu le financement qu’elles espéraient. Le fédéral, lui, n’a pas réussi à les convaincre de faire davantage là où lui le juge nécessaire.

L’attitude d’Ottawa n’a pas aidé. L’esprit de coopération promis a cédé le pas à un ultimatum aux provinces lancé par le ministre des Finances, Bill Morneau, vendredi. Sa proposition était à prendre ou à laisser, leur a-t-il fait comprendre. Il a bougé un peu lundi, mais sans régler le fond du problème, à savoir le double piège que cachait cette offre pour les provinces.

Si rien ne change, le taux de croissance des transferts pour la santé passera de 6 % à 3 % par année. Ce pourrait être davantage si le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) nominal est supérieur. Les provinces ont toujours protesté contre cette formule imposée par le gouvernement Harper et demandent maintenant un taux de 5,2 % par année pendant 10 ans.

Après avoir repris à leur compte la politique de Stephen Harper, les libéraux ont offert un taux de croissance annuel de 3,5 % pendant cinq ans. Cela peut paraître tentant, mais il y a un hic. Les prévisions de PIB nominal pour les prochaines années, y compris celles des prévisionnistes du secteur privé consultés par le ministère fédéral des Finances, sont supérieures à ce taux. Bref, les provinces y perdraient au change. Voilà pour le premier piège.

Voici le second. Ottawa dit répondre aux besoins des provinces en partageant 11 milliards supplémentaires sur dix ans entre deux fonds consacrés aux soins à domicile et aux soins en santé mentale. La ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, veut améliorer la couverture offerte dans ces deux secteurs, ce qui veut dire de nouveaux services mis sur pied par les provinces. Ottawa évite toutefois de garantir un financement permanent et croissant après ces 10 années. En plus, Ottawa veut que, à l’exception du Québec, les provinces lui rendent des comptes !

Le fédéral peut se livrer à ce petit jeu parce qu’il en a les moyens, alors que plusieurs provinces n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Elles ont toutefois un atout dans leur jeu. Sans elles, le premier ministre Justin Trudeau ne peut respecter ses promesses en santé. Les ministres Morneau et Philpott l’ont reconnu du bout des lèvres lundi. Les milliards du fédéral sont une arme redoutable cependant. Cette énorme carotte a historiquement eu de l’effet et semble encore faire vaciller le Nouveau-Brunswick. Ce souque à la corde financier est malsain et la manifestation la plus évidente d’un fédéralisme fiscal dysfonctionnel en décalage avec les obligations constitutionnelles de chacun. La solution logique pour mettre fin à ces distorsions serait qu’Ottawa cède aux provinces l’espace fiscal nécessaire pour qu’elles financent elles-mêmes les soins de santé (avec formule de péréquation améliorée, mais c’est un autre débat). Après tout, c’est vers les gouvernements provinciaux que les citoyens se tournent pour demander des comptes en ce domaine, pas vers le fédéral.

Une telle réforme ne permettrait pas un grand pétage de bretelles, mais on y gagnerait une meilleure reddition de comptes et un plus grand respect du pacte confédératif. Ce n’est quand même pas rien.

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