Pari risqué
Après les cas de Laval (l’administration Vaillancourt), Boisbriand, Mascouche, Terrebonne, etc., après ce que nous a dévoilé la commission Charbonneau, un acte de foi à l’égard des municipalités comme celui que fait Philippe Couillard avec le projet de loi 122 est-il bien prudent ?
Superlatifs et hyperboles ne manquaient pas mardi à Québec, au Salon rouge, lors de la grande conférence de presse solennelle soulignant la Déclaration sur la reconnaissance des municipalités à titre de gouvernements de proximité. « Plus importante décentralisation des pouvoirs de l’histoire du Québec » ; « tournant que je qualifierais d’historique », déclaration « porteuse d’avenir », « début d’une nouvelle ère, d’un réel partenariat ». Un peu plus et un orchestre géant entamait l’Hymne à la joie.
Le gouvernement venait de déposer le projet de loi 122 « visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs ». Les municipalités réclament depuis longtemps que leurs rapports avec Québec soient modernisés. Elles refusent qu’on les traite de haut, comme des « créatures » de l’État du Québec, veulent être reconnues comme des « gouvernements de proximité » autonomes. Pourtant, la Constitution n’a pas été changée. À l’article 92 de la loi de 1867, on trouve toujours l’alinéa précisant que l’Assemblée nationale peut seule légiférer sur « les institutions municipales dans la province ». À preuve, comment s’est terminée la semaine où la fameuse déclaration fut signée ? Par l’imposition, vendredi, par bâillon, de la loi 106 (sur les hydrocarbures) notamment aux municipalités, lesquelles l’avaient qualifiée d’inacceptable parce qu’elle empiète à leurs yeux « carrément sur les compétences des municipalités locales et régionales ».
Au reste, avec le projet de loi 122, les municipalités (comme Montréal avec le projet de loi 121 et Québec avec le projet de loi 109, adopté cette semaine) obtiennent un peu plus de flexibilité. Avec les lois sur les retraites, celle sur le règlement des différends (110, adoptée le 2 novembre), Québec a livré au moins en partie ce qu’il avait promis : en contrepartie des compressions de 300 millions dans le budget des villes, on vous rend la vie plus facile. Et on accommode des maires qui peuvent.
Les gains des villes dans cette série de lois justifient-ils les superlatifs ? La décentralisation ne semble pas énorme. Montréal pourra déterminer les heures d’ouverture de bars. Les villes pourront fixer des limites de vitesse sans consulter le ministère des Transports.
Toutefois, ce n’est pas tant aux dépens du gouvernement du Québec que les municipalités gagnent en pouvoir, mais aux dépens des citoyens ! Est abolie l’obligation de soumettre à un référendum plusieurs modifications aux règlements d’urbanisme à Montréal et à Québec. Dans les autres villes aussi, on supprime cette obligation dans plusieurs cas.
Normalement, on devrait imposer à tout palier de gouverne qui gagne en pouvoir et en autonomie certains contrepoids démocratiques. Ici, ça semble être l’inverse. Tout au plus exige-t-on, dans le projet de loi 122, de toute municipalité qui veut limiter le recours au référendum, que celle-ci adopte une « politique d’information et de consultation ».
Drôle de logique alors que l’on sort d’une époque où le palier municipal s’est illustré comme celui de la magouille ! Vous vous souvenez de la commission Charbonneau ? Lorsque les journalistes ont questionné le premier ministre sur les questions de surveillance, mardi, il a soutenu que les citoyens étaient « très bien informés ». Oui, car « ils ont accès à l’information. Les médias également ont accès à l’information, et c’est la façon dont les choses vont se gouverner maintenant ». Comme si l’accès à l’information dans les municipalités n’était pas un cauchemar ! Comme si cela allait vraiment être corrigé par le projet de loi 122. Pour renoncer à ses lunettes roses en ces matières, M. Couillard aurait pu regarder à ses côtés, lors de la cérémonie : Bernard Sévigny, qui est à la fois maire de Sherbrooke et président de l’Union des municipalités du Québec, a admis il y a quelques mois avoir « escamoté » la Loi sur l’accès à l’information. Des informations ont été retenues, les délais de la loi ont été ignorés, l’information a été « organisée » avant d’être divulguée, a dénoncé la FPJQ.
Pire encore, souvenons-nous de Laval, Boisbriand, Mascouche, Terrebonne, etc. Réponse du premier ministre : « Je crois que des événements regrettables comme ceux que vous mentionnez ne devraient pas nous faire reculer sur le chemin de la confiance. C’est un pari, mais c’est le pari qu’il faut prendre dans l’intérêt du Québec. » Admettons que ce n’est pas un pari sans risque.