Le filon commode

Une droite en attire une autre. Arrivé largement en tête du premier tour de la primaire de la droite et du centre, François Fillon se révèle commode. Dangereusement commode, en fait, à toute une frange d’électeurs qui trouvent ainsi en lui une façon de contourner la tentation de voter pour Marine Le Pen, chef du Front national (FN).

L'ex-président Nicolas Sarkozy, qui se serait bien vu reprendre le pouvoir, s’est fait montrer la porte dimanche. Voilà une bonne chose de réglée. Non sans un coup de pouce d’électeurs de gauche, d’ailleurs. Il reste que, pour avoir invité ses partisans à reporter leur appui sur M. Fillon contre le centriste Alain Juppé au deuxième tour de la primaire qui aura lieu dimanche prochain, M. Sarkozy exprime un appui qui tient en partie du cadeau empoisonné. Il vient en tout cas surligner l’étroite parenté idéologique des deux hommes, bien campés dans les champs de la droite dure, à la frontière du royaume lepéniste.

François Fillon a remporté haut la main le premier tour avec 44 % des voix, faisant une nouvelle fois mal paraître les sondeurs. Autre signe que les sondages ont tendance à devenir approximatifs — après le « Brexit » en Grande-Bretagne et l’élection de Donald Trump aux États-Unis. Qu’est-ce à dire ? Qu’au fond, ces erreurs de lecture du climat social et électoral traduisent l’aisance croissante avec laquelle les électeurs sont prêts à flirter avec des positions radicalement de droite et, ce faisant, à les normaliser.

Cette « droite décomplexée » s’est mondialisée dans nos démocraties — un phénomène face auquel le Canada de Justin Trudeau, du moins dans le discours, tient de l’exception qui confirme la règle. Les États-Unis selon Trump, la montée des mouvements populistes en Europe, le retour de la droite au pouvoir au Brésil, en Argentine et en Inde : n’est évidemment pas étranger à ce glissement l’échec des gouvernements dits de gauche qui, prenant le pouvoir, trahissent leurs promesses de progrès social et finissent par manger à tous les râteliers.

 

Que la candidature de Trump à la présidence ait été aberrante ne l’aura pas empêché d’être élu. En définitive, cela l’aura même aidé. M. Fillon n’est un calque ni de Donald Trump ni de son vice-président, l’ultrareligieux Mike Pence, mais il canalise de semblables frustrations en avançant des propositions qui passent par des réflexes de repli.

Il est néolibéral en économie : il supprimerait 500 000 postes de fonctionnaires, diminuerait les dépenses de l’État de 100 milliards d’euros et les impôts des entreprises de 40 milliards. Pour la façon dont il réduirait le rôle de l’État, y compris en santé, on l’a surnommé le « Thatcher français ». La France n’est pourtant pas les États-Unis. Que M. Fillon soit élu président et son message de rigueur économique et d’allégement de l’État providence rencontrera inévitablement d’énormes résistances sociales.

De foi catholique assumée, il est sur le plan des « valeurs morales » un conservateur à la Stephen Harper, quoiqu’en plus louvoyant. Il est personnellement contre le droit à l’avortement, mais n’est pas prêt à en remettre en question la légalité. Il a obtenu l’appui des opposants au mariage gai, légalisé il y a trois ans, en promettant non pas d’abroger la loi, mais de la réécrire de manière à fermer la porte aux couples homosexuels à l’adoption et à la procréation médicalement assistée. Ce qui fait que l’appui des électeurs appartenant à la droite catholique traditionnelle a pesé lourd dans sa victoire.

Il interdirait le burkini, contrairement à Alain Juppé. En éducation, il propose de réécrire les programmes d’histoire dans le but de redonner aux enfants « la confiance dans notre patrie ». Il est pro-européen, mais critique et « souverainiste » s’agissant d’affirmer l’indépendance de l’État français et de prendre ses distances du géant américain. Il est « trumpiste » sur la question syrienne, favorable à un rapprochement avec Vladimir Poutine et Bachar al-Assad pour éradiquer le groupe État islamique.

Tout cela en fait, finalement, un lepéniste à visage humain. Mauvaise nouvelle pour Marine Le Pen, qui risque de voir une partie de son électorat filer vers Fillon. Mauvaise nouvelle, plus fondamentalement, pour l’équilibre démocratique du pays. Encore que s’applique face aux sondages, plus que jamais, un principe de précaution. Alain Juppé, qui était au départ favori, ne peut pas avoir dit son dernier mot. Les deux hommes s’affrontent en débat jeudi soir. Après quoi, la primaire socialiste aura lieu en janvier. Et dans six mois, la présidentielle.

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