Remparts à bâtir
Les libéraux fédéraux ont dû être ravis en lisant les propos du directeur général des élections fédéral, Marc Mayrand, lundi. Le DGE a dit ne rien voir d’illégal dans ces cocktails privés de financement auxquels des ministres fédéraux assistent. Cela n’a rien d’illégal, mais l’éthique exige davantage, y compris des changements aux règles de financement.
En entrevue au Hill Times, Marc Mayrand a rappelé que les activités de financement sectoriel (que décrit mieux l’expression anglaise « cash for access ») n’étaient pas contraires à la loi électorale. Il a toutefois convenu qu’elles peuvent soulever des enjeux en matière d’éthique et de conflit d’intérêts. Il hésiterait toutefois à changer la loi. « Plus les contraintes sont perçues comme étant déraisonnables, plus il y a de gens qui peuvent être tentés par des procédés clandestins. C’est ce qui me préoccupe », a-t-il dit, évoquant au passage les problèmes connus au Québec.
Mais justement… Le scandale des prête-noms s’est produit au Québec sous un système similaire à celui en vigueur au fédéral. Seuls les individus pouvaient et peuvent encore donner aux partis, mais le plafond autorisé était à l’époque suffisamment haut pour rendre ce stratagème rentable aux yeux des entreprises peu scrupuleuses et désireuses d’influencer des politiciens. Depuis, la limite des dons individuels au Québec est passée de 3000 $ à 1000 $ en 2011 et à 100 $ au début de 2013. Au fédéral, la limite est d’un peu plus de 1500 $.
Aucun scandale de l’ampleur de celui qui a mené à la commission Charbonneau n’a été révélé à Ottawa, mais le fédéral n’est pas à l’abri des prête-noms. En septembre, le Commissaire aux élections nous apprenait qu’entre 2004 et 2011, d’anciens dirigeants de SNC-Lavalin avaient utilisé ce stratagème pour acheminer près de 110 000 $ vers le Parti libéral du Canada et plus de 8000 $ vers le Parti conservateur.
On ignore si c’est une exception ou la pointe de l’iceberg, mais une chose est sûre : quand un premier ministre et des ministres se livrent à des activités de financement sectoriel, ils donnent prise aux soupçons de conflit d’intérêts et se rendent vulnérables à des jeux de coulisses, même s’ils n’en savent personnellement rien.
Les libéraux se défendent en invoquant la loi. Ils enfreignent cependant la directive sur les activités de financement émise au lendemain des élections par M. Trudeau. Il y enjoignait aux ministres d’« éviter tout conflit d’intérêts, toute apparence de conflit d’intérêts et toute situation pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts ». Les libéraux nient l’avoir ignorée, mais refusent de laisser la commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique l’appliquer, comme le demandait une motion conservatrice à laquelle ils ont été les seuls à s’opposer la semaine dernière.
Cela serait pourtant une bonne chose, mais ce ne serait qu’un premier pas. Il faudra aller plus loin. Comme le dit le DGE, il ne peut y avoir de campagnes électorales sans argent, le défi est d’encadrer sa présence. Une solution dont personne ne parle et qui répondrait à la préoccupation de M. Mayrand serait le rétablissement de l’allocation par électeur, cette subvention accordée annuellement aux partis en fonction du nombre de votes obtenus.
En vigueur au fédéral entre 2004 et 2015, elle a été bonifiée au Québec lors de la dernière réforme. Par nécessité, peut-on dire, car sans elle, il aurait été impossible d’abaisser le plafond des dons sans encourager des manoeuvres douteuses pour combler le manque à gagner des partis.
Le gouvernement libéral n’a rien dit à ce sujet, mais si l’éthique est une de ses priorités, il doit envisager le retour de l’allocation par électeur.