Impasses historiques
Les archives de l’époque de la crise post-Lac Meech s’ouvrent, nous apprenait La Presse lundi. Il n’y aurait là que peu de surprise. Le premier ministre libéral Robert Bourassa, en 1991, rassurait ses collaborateurs fédéralistes : malgré une loi qu’il comptait faire adopter, jamais il ne ferait de référendum sur la souveraineté. Une sorte de confirmation des thèses du célèbre essai Le tricheur, de Jean-François Lisée. Mais quelle importance de voir cette tromperie confirmée à une époque où l’on tend à se méfier de l’histoire ?
L'époque exaltante de l’Accord du lac Meech, qui devait ramener le Québec dans le giron constitutionnel, a largement engendré la période politique actuelle, qui se caractérise par l’impression durable que, depuis 26 ans, les deux voies de l’avenir du Québec — fédéralisme renouvelé et indépendance — semblent à jamais bouchées. Après l’échec de Meech, le 23 juin 1990, les fédéralistes québécois avaient du mal à croire que le contrat fondamental du Dominion serait modifié en fonction des attentes des Québécois. Ils durent mettre sur la table l’autre option, celle de la rupture. Après la commission Bélanger-Campeau, le gouvernement Bourassa fit adopter en mai 1991 le projet de loi 150 prévoyant entre autres « un référendum sur la souveraineté du Québec entre le 8 et le 22 juin 1992 ou entre le 12 et le 26 octobre 1992 ». Le même projet de loi promettait aussi d’étudier aussi toute « offre d’un nouveau partenariat de nature constitutionnelle » qui lierait « formellement le gouvernement du Canada et les autres provinces ». Par la suite, il y eut l’Accord de Charlottetown, qui fut soumis à l’approbation du peuple par référendum, lequel fut défait.
Les archives nous apprennent que, le 20 mars 1991, alors qu’il exposait au Conseil des ministres sa stratégie comportant le dépôt de la loi 150, Bourassa se fait rassurant : le gouvernement aura toujours la possibilité de modifier sa loi, la ratification d’offres fédérales « écartera l’obligation de tenir un référendum sur la souveraineté ». La démarche n’était pas sincère, pour employer un euphémisme. Après Charlottetown, ce fut en 1995, le non serré au référendum. On peut dire aujourd’hui que cette double impasse a enlevé au Québec une partie de son ressort.
Pour en sortir, il faudrait débattre de ce qui s’est passé de 1987 à 1995. Or, les événements semblent peu à peu oubliés. Ici aussi, il semble y avoir impasse. Jean-Claude Rivest, ancien conseiller de Robert Bourassa, a demandé à un groupe d’étudiants ce que Meech évoquait à leurs yeux. Après un silence, une voix demanda si ce n’était pas une « microbrasserie ». L’anecdote tend à concorder avec des chiffres d’un sondage de 2014 sur la méconnaissance de cette histoire récente par les jeunes Québécois. Les plus âgés aussi semblent réfractaires à rebrasser ce que le premier ministre Justin Trudeau a d’ailleurs classé dans la catégorie des « vieilles chicanes ».
Parfois, on dirait que certains au Québec ont fait leur la thèse de Paul Valéry : « L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré », qui engendrerait de « faux souvenirs », entretiendrait leurs « vieilles plaies ». Par exemple, un élève nous a informé que le dernier chapitre du livre d’histoire de 4e secondaire, portant sur la question nationale, ne serait pas enseigné, car il serait trop « controversé » ! Professeur d’histoire littéraire et intellectuelle à l’Université Laval, Jonathan Livernois, dans son court essai La route du Pays-Brûlé (Atelier 10, « archéologie et reconstruction du patriotisme québécois », en moins de 80 pages !), écrivait récemment que l’amour du pays doit être ancré « dans un passé qui ne contraint pas ». S’il ne contraint pas, même un peu, s’il ne faut penser qu’à l’avenir, que peut signifier vouloir perpétuer ?
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.