La prudence s’impose

La Chine est un marché convoité, une puissance incontournable, mais c’est aussi un pays totalitaire où la primauté du droit, l’indépendance de la magistrature et le respect des droits de la personne font défaut. Des prisonniers y sont torturés et la peine de mort est imposée sans complexe. C’est pourtant avec ce pays que le gouvernement Trudeau a accepté de discuter d’un possible traité d’extradition. Le Canada ne serait pas le premier pays démocratique à le faire, mais est-ce la bonne voie ?

L'actuel gouvernement canadien n’a jamais caché qu’il voulait rétablir les ponts avec la Chine, et le premier ministre Justin Trudeau n’a pas ménagé ses efforts durant la visite officielle qu’il a faite à la mi-septembre. Le gouvernement chinois aussi espérait un réchauffement. On a donc mis le paquet et multiplié les accords, dont un portant sur une nouvelle « coopération sur la sécurité et la primauté du droit » avec, parmi ses objectifs « à court terme », les négociations du traité d’extradition.

Cela fait près de 15 ans que la Chine rêve d’un tel traité et que le Canada, comme les États-Unis, résiste. Mais depuis quelques années, l’attrait économique exercé par l’Empire du Milieu a eu raison des réserves d’autres pays. La digue a lentement cédé. L’Italie, l’Espagne, le Portugal, la France ont signé un traité d’extradition. L’Hexagone a d’ailleurs extradé un premier ressortissant chinois la semaine dernière.

Le traité français, comme ceux que le Canada a signés avec des dizaines de pays, prévoit des garde-fous. Les textes canadiens précisent entre autres que seront refusées les demandes d’extradition pour une infraction politique et « lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que la demande d’extradition pour une infraction [criminelle] a été faite dans le but de poursuivre ou de punir une personne en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses opinions politiques ». Un accord avec la Chine n’échapperait pas à ces balises.

Pour des organisations comme Amnistie internationale et Human Rights Watch, il est quand même impensable de conclure ce genre de traités avec la Chine, car on ne peut se fier à son système judiciaire. La justice peut y être arbitraire. Les libertés de conscience, d’expression, d’opinion et de religion sont constamment bafouées. Certaines minorités nationales et ethniques sont persécutées. On y exécute plus de personnes que tous les autres pays réunis.

 

Ces objections sont bien comprises, mais un traité pourrait avoir des avantages, selon certains experts. Le professeur de l’Université de Sherbrooke Serge Granger disait dans nos pages qu’un traité d’extradition, avec ses règles de preuves rigoureuses, pourrait encourager la professionnalisation du système judiciaire chinois. Et il ne faut pas oublier qu’un pays n’est pas obligé, traité ou pas, d’acquiescer à une demande d’extradition.

Un autre argument est invoqué en faveur d’un tel traité, à savoir que le Canada ne veut pas devenir un havre pour des fugitifs accusés de crimes de droit commun. Selon l’International Business Times, cité par le Globe and Mail, le Canada serait, après les États-Unis, le deuxième refuge des 100 criminels économiques chinois les plus recherchés.

Mais on revient au problème initial : comment les enquêtes menant à ces accusations ont-elles été menées ? Et les procès, s’il y en a déjà eu ? Comment peut-on être sûr que des dissidents politiques ne sont pas accusés faussement de crimes de droit commun pour réussir à les mettre à l’écart ?

M. Trudeau répète qu’il n’est pas question d’extrader quiconque serait promis à la peine de mort. Le Canada ne le fait même pas vers les États-Unis. Mais qu’en est-il des autres abus de droit rapportés en Chine ? Comment Ottawa peut-il avoir l’assurance qu’une personne n’y sera pas soumise ?

Pour l’instant, il n’est question que de discussions, mais dont l’annonce a pris beaucoup de gens par surprise. Avant d’aller trop loin, un débat franc et ouvert s’impose au Canada. Le gouvernement doit dire quelles garanties précises il exige et démontrer qu’il a les moyens de les faire respecter. Le rapprochement avec la Chine ne peut justifier de prendre des libertés avec certaines valeurs, la justice au premier chef.

À voir en vidéo