Le sujet sensible

Malgré les dernières données indiquant que la température de la planète a atteint un niveau record au cours des six premiers mois de 2016, il y a peu de chances qu’on aille au-delà d’un consensus de parade au sujet des mesures à prendre au Canada lors de la rencontre des premiers ministres, cette semaine, au Yukon. «Évitons l’affrontement » semble le mot d’ordre. Une fois de plus.

Chaque année à pareille date, les premiers ministres des provinces et territoires réunis au sein du Conseil de la fédération se rencontrent pour échanger dans un climat de détente et tenter de faire front commun sur les dossiers qui les préoccupent.

Cette année, on parlera encore de financement de la santé et d’échanges commerciaux, et on chantera en choeur un couplet sur la lutte contre le réchauffement climatique. En évitant toutefois d’aborder de front les enjeux fondamentaux reliés à ce thème, tels que l’augmentation prévue d’au moins un million (+40 %) de barils de pétrole par jour extraits des sables bitumineux et la construction de nouveaux pipelines destinés à l’exportation.

Les dernières informations sur l’évolution du climat publiées mardi par l’Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA) montrent que la planète continue de se réchauffer. Selon les relevés de la NOAA, la température moyenne était de 0,9 degré au-dessus de la moyenne du siècle dernier en juin. C’était le 14e mois consécutif au cours duquel on faisait ce constat, soit la plus longue période continue en 137 ans.

À Paris, en décembre, 195 pays en sont venus à une entente pour contenir le réchauffement « bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels », et « si possible à 1,5 °». Dans l’enthousiasme du moment, la ministre canadienne de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, a adhéré à cette position jusque-là surtout défendue par les pays les plus menacés.

Si l’on se fie aux dernières données climatiques, en incluant l’effet El Niño, nous aurions déjà atteint ce plafond de 1,5 degré depuis le début de 2016, ou de 0,9 degré en soustrayant la hausse associée de façon spécifique à ce phénomène cyclique. Bien sûr, il faudra plusieurs années avant de tirer des conclusions, mais les observations actuelles permettent de comprendre que le Canada ne peut pas continuer de parler des deux côtés de la bouche en même temps, comme ce fut longtemps le cas sous les conservateurs.

 

Respecter les engagements pris à Paris implique nécessairement de viser une baisse nette des émissions de GES d’ici 2050. Cela ne sera possible qu’à la condition de bloquer les nouveaux projets d’exploitation des sables bitumineux ou d’exiger beaucoup plus du reste de la société.

Or, en mars dernier, la même Mme McKenna déclarait que « le Canada a besoin des emplois pétroliers ». Pour la ministre, cela signifie que, même à un million de barils supplémentaire par jour d’ici 2030, soit le minimum prévu par l’industrie et le gouvernement de l’Alberta, le Canada serait toujours en mesure de respecter ses engagements internationaux.

L’Alberta étant responsable des trois quarts de la hausse des émissions de GES au pays depuis 1990, on comprend donc qu’Ottawa s’attend à ce que l’essentiel des efforts de réduction d’émissions des prochaines années provienne des provinces consommatrices comme le Québec et l’Ontario, et non des provinces productrices.

Pire : malgré ce déséquilibre, on demande au Québec de contribuer à la « nation-building » en laissant passer pour une durée illimitée, sur des milliers d’hectares de terres agricoles et sous des centaines de cours d’eau, un pipeline d’un mètre de diamètre dont le débit quotidien sera précisément l’équivalent du million de barils supplémentaires que les pétrolières projettent d’extraire.

La semaine dernière, l’Alberta Energy Regulator nous apprenait que, dans 8 des 23 cas de « déversement majeur » étudiés sur son territoire, il avait fallu 48 jours en moyenne aux pétrolières pour trouver et colmater les brèches.

De cela, il ne sera malheureusement pas question au Conseil de la fédération puisque les premiers ministres ont adopté, l’an dernier, une résolution qui postule que « les mesures visant à lutter contre les changements climatiques doivent être compatibles avec la compétitivité internationale des économies des provinces et des territoires ainsi qu’avec le développement durable des ressources naturelles du Canada ». Peut-on être plus clair ?

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