Theresa May, contorsionniste

La moindre des confusions découlant du vote pro-Brexit n’est pas que le Royaume-Uni se retrouve avec une nouvelle première ministre qui, toute eurosceptique qu’elle soit, aurait quand même préféré que son île continue de faire partie de l’Union européenne (UE). Le premier défi de Theresa May : recimenter le Parti conservateur vilainement déchiré par le sortant David Cameron. D’où la cooptation du « brexiter en chef », Boris Johnson.

« Brexit means Brexit », a déclaré Theresa May à peine devenue, par forfait, chef du gouvernement britannique. Mais encore ? Femme pragmatique, Mme May faisait partie du camp du Remain aux côtés de David Cameron, quoique sans grand enthousiasme — par calcul ou par ambivalence. Il se trouve qu’à titre de ministre de l’Intérieur pendant six ans, elle a milité avec fermeté, mais sans y parvenir, en faveur d’une diminution des seuils d’immigration et de l’expulsion des illégaux sans égard à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Ce qui fait que son ambivalence est tout à l’image du résultat du vote pro-Brexit de 51,9 %. Elle est au fond la fière héritière de l’euroscepticisme qui habite l’âme britannique depuis Winston Churchill (« Nous sommes avec vous, mais pas des vôtres ») et d’une idée de la construction européenne que le Royaume-Uni veut commerciale et libre-échangiste, libre de toute convergence politique ou sociale. « Tout le grand marché et rien que le grand marché », disait l’ex-première ministre Margaret Thatcher.

L’étonnement qui a accompagné dans certaines capitales européennes la nomination au poste de ministre des Affaires étrangères de l’abominable Boris Johnson, chef de file des pro-Brexit, n’est en ce sens qu’en partie fondé. Il y a, d’une part, que Mme May se trouve à récompenser M. Johnson pour l’appui qu’il lui a apporté dans la course au leadership du Parti conservateur. Vrai que cette cooptation confine au burlesque. Mais ce faisant, Mme May se trouve d’autre part à envoyer au front une coalition de « brexiters » — Boris Johnson avec David Davis, ministre chargé spécifiquement d’opérer le Brexit, et Liam Fox, nouveau secrétaire d’État au Commerce — qu’il sera aisé de discréditer si la rupture d’avec l’UE dont ils ont prophétisé les avantages ne donne pas les fruits annoncés.

L’animosité avec laquelle la nomination de M. Johnson a été reçue aux Affaires étrangères à Paris et à Berlin (ici, on l’a qualifié de « menteur » ; là, de quelqu’un au comportement « monstrueux ») annonce d’emblée des discussions épidermiques. Reste sans doute que l’homme fait surtout tiquer parce qu’il est un politicien mal dégrossi, version anglaise de Donald Trump. Car ni Londres ni les gouvernements qui composent l’édifice communautaire qui a son siège à Bruxelles n’ont vraiment intérêt à rompre, ni même à creuser les querelles, tant les échanges commerciaux qui les lient sont développés. D’autant moins que l’horizon économique n’est pas des plus prometteurs en Europe comme outre-Manche. Aussi, Mme May souffle-t-elle le chaud et le froid, affirmant tout à la fois que « Brexit veut dire Brexit », mais qu’il n’est pas pour autant question de précipiter les choses…

Theresa May est souvent comparée à la chancelière allemande, Angela Merkel, signale Le Monde dans un portrait de la nouvelle première ministre. Cela dit, on comprend, à lire la presse européenne, que l’évolution de l’Europe dans la foulée du vote pro-Brexit risque en bonne partie d’être tributaire de la relation entre l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Car si Londres a été historiquement un membre rétif de l’UE, le fait est qu’il a aussi été, ce qui est paradoxal, un allié crucial de Berlin dans le développement de la puissance économique de l’Union. Que Londres consomme la rupture pour de vrai et Berlin souffrirait particulièrement de son absence à la table.

Le débat autour du Brexit a été salement pollué par des sentiments xénophobes, mais il a aussi été l’expression par les Britanniques d’un mécontentement aigu quant au déficit d’esprit démocratique que l’UE et ses élites nationales n’ont cessé de creuser à l’égard de la population. C’est à se demander, forcément, si ne sont pas en train de s’engager des pourparlers en trompe l’oeil où la colère qui s’est manifestée en Grande-Bretagne ne finira pas par se résumer à un coup d’épée dans l’eau. Avec ou sans Boris Johnson.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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