La peur des uns, la haine des autres

Il ne s’agit certainement pas d’édulcorer le fait que les attitudes anti-LGBT sont généralisées dans une grande partie du monde musulman. Pour autant, l’islam n’a pas le monopole de l’homophobie, tant s’en faut.

Beaucoup auront d’emblée voulu voir la main de l’extrémisme islamiste dans le massacre qui a fait 49 morts et 53 blessés dimanche dernier dans le bar gai Pulse, à Orlando. Après Paris et San Bernardino, il est notable que le groupe État islamique (EI) dissémine sa marque avec une efficacité proprement terrorisante, par adjonction troublante et numérique de « loups solitaires ». Au reste, les Marine Le Pen et Donald Trump de ce monde sont drôlement utiles à la propagation du syndrome.

Entendu que l’EI est un phénomène dont il ne faut pas sous-estimer le degré de dangerosité. Il faut faire très attention, cela dit, à ne pas tout confondre. La peur crée des brouillards. Le président Obama n’a pas eu tort de dire du massacre survenu à Orlando que c’était « un acte de terreur et un acte de haine ». En l’occurrence, les informations ont cependant fini par montrer que le tueur Omar Mateen était moins un soldat du groupe armé EI que quelque chose comme un jeune homme qui est allé enterrer ses déchirements identitaires dans une réaction homophobe d’une violence inouïe.

Qu’à cela ne tienne, la tuerie aura surtout servi à une bonne partie de la droite républicaine pour accroître la méfiance populaire à l’égard des musulmans, diaboliser plus ou moins subtilement l’islam et stigmatiser Barack Obama pour son incapacité à venir à bout de l’EI. Elle aura apporté de l’eau au moulin de l’aberrant Donald Trump, qui promet de ficher les musulmans qui vivent aux États-Unis et de freiner leur immigration. Elle aura autorisé l’influent sénateur John McCain à dire que M. Obama était « directement responsable » de ce qui est arrivé au Pulse. Ce qui ne constitue pas le moindre des raccourcis.

Ce détournement de sens s’est trouvé à faire l’impasse sur une évidence bien documentée, à savoir que l’homophobie ne connaît ni frontière religieuse ni frontière nationale. Vrai que les homosexuels sont passibles de la peine de mort dans dix pays et que la majorité d’entre eux sont musulmans. Mais cela ne devrait pas occulter le fait qu’en Chine, en Russie et en Inde, l’homosexualité est criminalisée, sinon violemment réprimée. Dans le catholique et évangélique Brésil, l’assassinat de femmes transgenres tient aujourd’hui de l’hécatombe. L’intolérance est la même dans des pays africains à majorité chrétienne, comme le Cameroun et l’Ouganda, où l’adoption de lois homophobes est d’ailleurs activement encouragée par des ONG évangéliques américaines.

Aux États-Unis, selon des données colligées par le FBI, il a été établi que les lesbiennes, gais, bisexuels et transgenres étaient davantage susceptibles d’être victimes d’une attaque haineuse que les Noirs ou les Juifs. Une étude des meurtres commis depuis quatre ans — menée par une organisation de défense des droits — a par ailleurs montré que la vaste majorité des personnes qui ont été tuées étaient des transgenres noirs ou hispaniques.

Non moins parlant, en fait, est un sondage mené l’année dernière par la maison Pew et selon lequel les musulmans américains manifestent nettement plus d’acceptation envers l’homosexualité que n’en manifestent les chrétiens évangéliques. Il ne faut pas s’étonner, alors, que le directeur de CAIR, la plus grande organisation musulmane du pays, ait exprimé sa solidarité envers la communauté LGBT au lendemain de la tuerie, pendant qu’un pasteur de l’Arizona approuvait le massacre en affirmant qu’il s’agissait de « pervers » et de « pédophiles »

Une autre arnaque non moins fondamentale tient à l’impasse que font les républicains sur toute idée de contrôle des armes à feu. Il est pourtant indéfendable qu’un civil — de surcroît soupçonné de sympathies terroristes, comme c’était le cas de Mateen — puisse légalement se procurer un fusil d’assaut. Dans l’état actuel des choses, ainsi que l’écrivait avec à-propos le New York Times en éditorial vendredi, c’est avant tout avec la complicité du lobby de la National Rifle Association (NRA), étant donné sa défense insensée du deuxième amendement de la Constitution américaine, que ce crime de haine et de terreur a été commis.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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