Le frein

La tragédie de Lac-Mégantic a eu l’effet d’un électrochoc dans le milieu de la sécurité ferroviaire. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) n’a d’ailleurs pas tardé à mettre au jour de nombreux problèmes en la matière, dont les méthodes de freinage utilisées pour immobiliser les trains laissés sans surveillance. Ottawa a modifié les règles, mais une hausse des incidents signalés depuis deux ans soulève des questions.

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, répète avec insistance que la sécurité ferroviaire est SA priorité. C’est tant mieux, car le ménage entrepris après le déraillement qui a coûté la vie à 47 personnes à Lac-Mégantic, il y a presque trois ans, est loin d’être terminé. Des cinq recommandations faites par le BST en 2014, une seule a reçu une « attention entièrement satisfaisante » aux yeux du Bureau. Ce qui veut dire, dans son jargon, que « l’action prise permettra de réduire considérablement la lacune ou de l’éliminer ».

Dans le cas de trois autres recommandations, Ottawa affiche, selon le BST, une « intention satisfaisante ». En d’autres mots, une action est envisagée, mais ce n’est qu’« une fois […] entièrement mise en oeuvre, [qu’elle] permettra de réduire considérablement la lacune ou de l’éliminer ». Il y a donc progrès.

Par contre, lorsqu’il est question de prévenir la dérive d’un train immobilisé, le BST est plus critique. L’attention accordée au problème n’est qu’« en partie satisfaisante » à ses yeux, ce qui veut dire que « les mesures prises ou envisagées permettront d’atténuer la lacune, sans toutefois la réduire considérablement ou l’éliminer ».

Dans une entrevue publiée récemment dans le Globe and Mail, la présidente du BST, Kathy Fox, laissait transparaître une certaine insatisfaction à l’égard de la réponse du ministère des Transports en ce qui a trait à la prévention des trains à la dérive.

Cet enjeu est fondamental. Après tout, si les freins à main avaient été utilisés de façon correcte et si les freins à air avaient conservé leur pression, le train n’aurait pas dérivé de Nantes à Lac-Mégantic ce 6 juillet fatidique.

Pour le BST, on ne peut se fier aux freins à air pour assurer une deuxième ligne de défense contre la dérive d’un train. Ils ne sont pas toujours fiables. Mieux vaut adopter des « moyens de défense physiques supplémentaires », comme des dispositifs de calage des roues et des dérailleurs. Or, la nouvelle règle élaborée par le ministère et entrée en vigueur en octobre dernier inscrit les freins à air parmi les dispositifs mécaniques supplémentaires permis.

Le Bureau suivra l’affaire de près, d’autant que le nombre d’incidents (de gravité diverse) impliquant du matériel à la dérive a augmenté au cours de la dernière année, passant de 30 en 2014 à 42 en 2015. Au ministère des Transports, on estime avoir répondu entièrement à la recommandation en question et que cette hausse est attribuable à une nouvelle obligation faite aux compagnies ferroviaires de signaler le moindre incident impliquant ne serait-ce qu’un wagon. Le ministère veut aussi évaluer l’efficacité des mesures adoptées avant d’en prendre d’autres. Quant aux compagnies qui négligent de faire rapport ou se révèlent négligentes, elles doivent maintenant passer à la caisse.

Le ministre Garneau a dit au Globe vouloir corriger les lacunes, s’il y en a, et le faire le plus rapidement possible. Personne ne met en doute sa bonne foi, mais le BST insiste depuis 1996 sur la nécessité d’avoir des mesures de défense « robustes » pour prévenir la dérive de trains et de wagons. On comprend donc mal pourquoi la position du Bureau concernant les méthodes physiques de freinage ne serait pas immédiatement reprise.

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