Fissures rassurantes

L’Unité anticollusion, l’Unité permanente anticorruption, la commission Charbonneau ne semblent pas avoir réussi à changer une certaine culture au ministère des Transports du Québec (MTQ). La bombe de l’ex-ministre Poëti, avec les fissures qu’elle provoque, pourrait-elle, à terme, y parvenir ?

Il faut avoir conscience du caractère inédit des événements de mercredi : un ex-ministre des Transports, Robert Poëti, aussi ex-policier, s’est résolu à fissurer la solidarité bétonnée du caucus libéral et à se vider le coeur à L’actualité. Ce qu’on comprend, entre les lignes ? Que M. Poëti aurait perdu son poste de ministre à cause de sa sous-ministre Dominique Savoie qui estimait son supérieur trop curieux quant à certaines moeurs du MTQ ; lesquelles devraient intéresser l’UPAC. Mais cette dernière reste mystérieusement inactive.

Le résumé peut sembler caricatural. Il reste que la lettre de M. Poëti à son successeur, rendue publique mercredi, est stupéfiante et sans précédent. Il confie avoir eu des « préoccupations autant sur le plan éthique, administratif [que] criminel », lorsqu’il était en poste. Il avait embauché une ancienne enquêteuse, Annie Trudel, s’étant illustrée à l’Unité anticollusion (UAC) avec Jacques Duchesneau, afin qu’elle fasse des vérifications au MTQ. Cette dernière a claqué la porte fin avril, soutenant n’avoir plus la confiance de la sous-ministre. Dans sa missive, M. Poëti explique que son successeur, Jacques Daoust, aurait normalement dû s’intéresser à ses inquiétudes, faire un suivi. Les rumeurs autour du MTQ n’ont rien de nouveau. M. Poëti aurait voulu informer le nouveau ministre ou son personnel « de certaines situations importantes, voire préoccupantes ». Rien n’y fit. Il reproche clairement à sa sous-ministre de n’avoir pas donné les réponses qu’il réclamait, d’avoir « étiré le temps à outrance ». M. Poëti écrit que le temps a finalement « donné raison » à cette dernière… puisqu’il a été chassé du décor. Plusieurs « plusieurs questions demeurent sans réponses ».

Mme Savoie a beau aujourd’hui tout nier, tout relativiser ; le cabinet du premier ministre a beau n’y voir qu’un tissu de théories du complot, les doutes, les critiques, les accusations, cette fois, viennent de l’intérieur. Il y a la fissure Poëti, mais il y en a d’autres : celle du député libéral de Jean-Lesage, André Drolet. Lors de la comparution de la sous-ministre Dominique Savoie à la Commission de l’administration publique (CAP) mercredi, M. Drolet s’est interrogé ouvertement sur un appel d’offres lié au MTQ semblant irrégulier et qui devrait intéresser la vérificatrice générale. Il y a aussi Guy Ouellette, un autre libéral, ancien policier lui aussi (et pas le moindre, il ferrailla avec les motards !), n’a pas hésité à se dire, à plusieurs reprises, « troublé », lors du témoignage de Mme Savoie. Notamment à propos du texte d’un rapport d’audit des professionnels en conformité des processus (PCP, dans le jargon), déposé en matinée au Salon bleu, puis déposé à nouveau en après-midi à la CAP, mais cette fois modifié !

Les soupçons sur le MTQ sont nombreux, anciens et divers. Il y a d’abord les contrats (gratinés) conclus de gré à gré avec des anciens du ministère. Ensuite, les fameux PCP seraient victimes d’intimidation. Le pire ? Les rumeurs de « système de comptabilité opaque qui permettrait de camoufler les dépassements de coûts embarrassants », selon ce que relate L’actualité.

Robert Poëti aurait-il simplement voulu se venger parce qu’on lui a retiré son poste ? S’il était encore ministre, il se serait tu, entend-on. Peu importe les motivations de l’ancien policier, les allégations sont trop nombreuses et trop graves. Elles ne peuvent être ignorées. Il faudra encore enquêter au MTQ. Explorer la fameuse clé USB que Mme Trudel avait transmise et qui se trouve maintenant à l’UPAC. Explorer toutes les fissures.

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