Faire ses devoirs
Les humoristes québécois ont procédé à une démonstration de solidarité tout à leur honneur, dimanche au Gala des Olivier, en dénonçant silencieusement la censure d’un numéro préparé par Mike Ward et Guy Nantel, trublions de profession.
Aucun artiste n’apprécie l’interventionnisme des diffuseurs, des producteurs, des avocats ou des assureurs dans le contenu créatif. Ces cris d’indignation étaient prévisibles, souhaitables même, car une société qui laisse les assureurs déterminer les limites entre le bon et le mauvais gag finira par interdire l’idée même du rire.
Officiellement, le numéro compromettant a été retiré parce qu’il traitait, bien indirectement, de la poursuite en discrimination de 80 000 $ intentée par Jérémy Gabriel contre Mike Ward, devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.
L’excuse est facile, et le producteur du gala, l’Association des professionnels de l’industrie de l’humour (APIH), aurait dû faire preuve de plus de pugnacité pour défendre ses enfants terribles.
Il faut tout de même remettre les pendules à l’heure dans cette histoire, comme l’a fait Martin Matte sur scène. Se draper dans la liberté d’expression pour proférer des « méchancetés ignobles » ne fait pas d’un Ward la réincarnation de Molière. Il faut défendre son droit à la liberté d’expression, pour le principe, tout en signalant que son humour carnassier est un bien triste chaînon manqué dans l’évolution de l’humour québécois.
Il faut tout de même reconnaître à Mike Ward un statut de canari (ou de quelconque oiseau d’étrange plumage) dans la mine. Il ne mérite pas d’être poursuivi en discrimination pour avoir fait de l’humour laid. Le climat de censure, la peur de froisser, l’autocensure et la rectitude galopante minent non seulement l’industrie de l’humour, mais les fondements de la liberté d’expression, un droit fondamental en recul partout dans le monde.
Le Québec n’y fait pas exception avec le projet de loi 59, ce liberticide des libéraux visant à réprimer le discours haineux, en confiant à la Commission des droits de la personne un pouvoir d’enquête et de sanction.
On s’étonne de l’entêtement du gouvernement à vouloir confier à la Commission des pouvoirs que les policiers possèdent déjà en vertu du Code criminel. Les avocats Julie Latour et Julius Grey craignent à juste titre l’émergence d’une « police de la pensée » au Québec.
Les humoristes — et aussi les journalistes — sont bien peu nombreux à dénoncer ce projet qui permettra aux groupes religieux ou minoritaires de les museler au tribunal du bon goût.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.