La fin des illusions

La Cour suprême du Canada a invalidé la semaine dernière deux mesures de l’ex-premier ministre Stephen Harper en matière de justice criminelle. Le pouvoir judiciaire sert de rempart pour protéger les libertés civiles contre l’arbitraire des pouvoirs exécutif et législatif.

Les politiciens sont prompts à dénoncer l’existence d’un « gouvernement des juges » lorsque les lois votées par les assemblées législatives sont charcutées par la Cour suprême. Au fil des ans, le plus haut tribunal du Canada a joué le rôle d’ultime arbitre du débat social sur des questions on ne peut plus délicates : l’avortement, le droit à la présomption d’innocence, le mariage entre conjoints de même sexe, etc. Et maintenant, la ligne d’action du « tout à la répression » de l’ancien gouvernement conservateur connaît l’heure du jugement.

La Cour suprême a invalidé vendredi le principe des peines minimales obligatoires en matière de trafic de drogue et elle a rétabli le pouvoir discrétionnaire des juges de créditer du temps de détention à un accusé emprisonné dans l’attente de son procès. Dans un cas comme dans l’autre, la Cour a réaffirmé un principe cher aux juristes. Les peines sont taillées sur mesure dans notre système de justice, en prenant en considération les circonstances propres aux accusés, la gravité de leur crime, la nécessité d’envoyer un message de dissuasion générale et d’encourager la réhabilitation.

Quelques crimes d’exception, tel le meurtre prémédité, commanderont toujours des peines minimales longues, cela va de soi. Sauf que les conservateurs ont abusé du principe, en créant des peines minimales pour près de 60 infractions. Cet entêtement idéologique a de graves conséquences : il gomme le pouvoir discrétionnaire des juges, il ouvre la voie à l’imposition de peines disproportionnées et il entraîne le Canada sur un chemin peu fréquentable.

Aux États-Unis, les peines minimales ont grandement contribué à l’explosion des coûts de l’incarcération, évalués à 80 milliards de dollars américains. Les États-Unis comptent pour moins de 5 % de la population mondiale, mais leurs prisons hébergent 20 % de tous les prisonniers dans le monde. Des candidats à la présidentielle, et le président sortant, Barack Obama, osent enfin remettre en question ces politiques insensées.

En dépit des vives réactionsdes partis d’opposition, des dénonciations généralisées des criminologues et autres spécialistes de la réinsertion sociale, malgré l’aversion profonde exprimée par le Barreau et les associations de défense des libertés civiles, le gouvernement Harper a maintenu le cap dans sa réforme aveugle de la justice criminelle. Pendant une décennie, les conservateurs ont empilé les mesures répressives, souvent enfouies dans des projets de loi « mammouth », sans se soucier de leurs conséquences sociales, ni même de leur validité constitutionnelle.

Il fallait « casser » du bandit, affoler une population que l’on prétendait rassurer par le durcissement des sanctions. Les conservateurs auront réussi l’exploit d’augmenter le recours à l’incarcération, dans une société qui connaît un recul marqué et constant de la criminalité. Quelle autre instance que la Cour suprême aurait été en mesure de freiner les élans intempestifs de l’exécutif et du législatif ? La Cour n’en était pas à sa première mise en garde. Il y a un an, elle rejetait les peines minimales pour les infractions de possession illégale d’arme à feu. La tendance est claire. Le credo conservateur est incompatible avec le respect des libertés civiles.

Les libéraux de Justin Trudeau ont promis mer et monde en matière de réforme de la justice criminelle durant la campagne. Ils n’ont pas besoin d’attendre que la Cour suprême produise des arrêts à la douzaine, sur les peines minimales, pour maintenant prendre leurs responsabilités.

À voir en vidéo