Climat croissant d’intolérance

Arrivé au pouvoir il y aura bientôt deux ans sur promesses tonitruantes de création d’emplois et de remise en ordre de l’économie, le gouvernement de Narendra Modi peine à concrétiser ses engagements. Preuve que la seule croissance du PIB ne fait pas de miracle.

En mai 2014, le Parti du peuple indien (BJP), parti de droite dont Narendra Modi est le berger autoritaire et charismatique, prenait le pouvoir dans un grand tsunami électoral, s’emparant de la majorité absolue des sièges à la Lok Sabha. Victoire phénoménale dans un contexte politique éclaté où il est devenu de plus en plus difficile de former un gouvernement, dans cette immense démocratie, sans procéder par coalition. C’est dire à quel point fut puissante la vague qui lui était favorable. Chassant du pouvoir le vieux Parti du Congrès, terrassé par les scandales de corruption, M. Modi allait ainsi avoir les coudées franches pour relancer la croissance, industrialiser le pays et créer des emplois pour les dix millions de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail.

Tel est le rêve qu’il a réussi à vendre à l’électorat indien. Ou, plus précisément, à la majorité hindoue.

Le BJP est un parti conservateur aux tendances ultranationalistes et ultrareligieuses — un parti qui cultive depuis toujours les sentiments anti-musulmans au sein de la majorité et qui s’inscrit en faux contre l’idée de laïcité qui fonde le projet social indien. M. Modi a bien fait l’effort en campagne d’envelopper ses convictions idéologiques dans un discours économique modernisateur et inclusif. Ce dont personne n’était dupe, à vrai dire. Mais le jupon de ses orientations profondes a commencé à dépasser dès qu’il est arrivé au pouvoir, lentement mais sûrement.

La démocratie indienne est, par définition, un monde compliqué, excentrique et violent, auquel se superpose une dictature, celle du système de castes. Mais s’installe actuellement en Inde sous ce nouveau gouvernement un climat d’intolérance particulièrement préoccupant à l’égard de tous ceux et toutes celles — intellectuels, médias, société civile, mouvement étudiant — qui osent user de leur esprit critique. Les signes de dérive sectaire se sont multipliés : conversions forcées, diabolisation des médias, attaques contre des écoles et des églises chrétiennes, adoption de lois contre la consommation de viande de boeuf (grand tabou de l’hindouisme)… À ce jour, le premier ministre Modi n’a dénoncé que du bout des lèvres les violences et les excès commis par les fondamentalistes du BJP.

Un épisode, parmi bien d’autres, a récemment mis le feu aux poudres avec l’arrestation pour sédition d’étudiants de la Jawaharlal Nehru University, la grande université laïque de Delhi. Leur crime ? Avoir participé à un rassemblement à la mémoire du Cachemiri Afzal Guru, exécuté il y a trois ans — à l’issue d’un procès dont la qualité avait d’ailleurs été largement contestée — pour avoir participé à un attentat terroriste commis en 2001. Dans la foulée, le BJP a monté l’affaire en épingle, traitant les étudiants d’« antinationaux » et organisant une grande campagne contre les vues « antipatriotiques ». Voici un gouvernement qui « criminalise la dissidence », se scandalisait la revue Outlook dans son dernier numéro.

 

Une situation dont M. Modi peut difficilement penser qu’elle redore son blason à l’échelle internationale, lui qui cherche par tous les moyens à attirer l’investissement étranger.

Les astres économiques sont pourtant favorables à ses desseins néolibéraux : croissance attendue de 7,5 % du PIB (supérieure à celle de la Chine !), taux d’inflation maîtrisé, bas prix du pétrole (puisque l’Inde est importateur d’or noir)… Mais deux ans après son élection, il est aussi paralysé que l’était l’ancien gouvernement, s’agissant de procéder à d’essentielles réformes structurelles, notamment dans le domaine fiscal. Comme il est encore loin de réussir à dynamiser le secteur de l’emploi, dans un pays où les trois quarts de la population sont pauvres !

À quoi peut bien lui servir, en ce pays en mal de développement économique, de laisser la droite radicale du BJP empoisonner le climat social en toute impunité ? Pour l’heure, l’homme reste très populaire, en dépit de l’hystérie nationaliste ambiante. Preuve que ce qui lui est politiquement utile ne l’est certainement pas à la démocratie indienne.

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