Se hâter lentement

Certes, la démocratie scolaire est en panne depuis longtemps et une réforme est devenue nécessaire. Mais à vouloir métamorphoser la gouverne scolaire à toute vapeur parce que « le statu quo n’a plus sa place », on risque d’empirer les choses. Le nouveau ministre de l’Éducation, Pierre Moreau, a heureusement fait savoir qu’il prendrait son temps, consulterait davantage et serait ouvert à des modifications importantes du PL86.


Le dépôt en catastrophe du projet de loi 86 (PL86) par François Blais, à la fin de la session parlementaire, était très révélateur. D’abord, que les discussions au caucus, aux comités ministériels et au conseil des ministres ont été ardues et ont retardé l’apparition du texte au feuilleton. Ensuite, que l’ancien ministre se montrait pressé : il souhaitait la tenue rapide d’une commission parlementaire, afin d’adopter un texte d’ici juin et appliquer sa réforme à la rentrée.

Sauf qu’avant le dépôt du projet de loi, M. Blais n’avait jamais soumis publiquement, dans un texte préliminaire, ses intentions et orientations. Pour une réforme d’une telle envergure, c’était malavisé. Il préféra consulter en privé, un à un, des personnes et des groupes intéressés. Par la suite, il a cherché à exclure de la commission parlementaire des intervenants pourtant importants : la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et des commissions anglophones, entre autres. L’opposition officielle péquiste s’était même crue obligée d’intervenir afin que ces commissions — certainement pas des alliés naturels du PQ — aient leur place dans le débat.

M. Blais a subi sa rétrogradation, mais les défauts de ses méthodes se constatent aujourd’hui dans ce dossier : plusieurs intervenants, ayant le sentiment que le débat public n’a pas été fait, s’attaquent à des aspects fondamentaux du projet de loi. La CSDM a par exemple proposé cette semaine, comme d’autres, de conserver les élections scolaires au suffrage universel — ce que le PL86 élimine —, mais de les tenir désormais en même temps que les municipales. Avant de conclure qu’il fallait abolir les élections, il aurait en effet fallu tenter au moins une fois l’expérience d’élections simultanées (comme en Ontario), mais aussi faire un réel effort publicitaire plus important.

Car l’élimination des élections scolaires — une tradition remontant à 1829, notait l’universitaire Jean-Pierre Proulx dans nos pages récemment — ne serait pas une mince affaire. Pour les remplacer, il faudra trouver meilleure formule que celle, bancale, proposée dans le PL86 : maintien des Commissions scolaires, mais création d’une entité, le Conseil scolaire, composée de représentants du milieu, notamment les parents et les directions d’école, nommés ou en partie élus électroniquement (si 15 % des parents d’un secteur l’exigent).

À toute chose, malheur est bon : la maladie du nouveau ministre Pierre Moreau aura au moins eu pour effet de ralentir le processus parlementaire. M. Moreau en a d’ailleurs saisi l’occasion : il a dit souhaiter entendre plus de groupes en commission ; a annoncé que l’adoption de la loi serait presque assurément reportée à l’automne ; le projet de loi pourra être modifié en profondeur, a-t-il enfin indiqué. Autant dire que l’on retourne à la case départ.

Du reste, nous voilà encore en train de débattre éducation, mais par le truchement de ses structures et de son financement. Questions bien sûr essentielles ; comme celle du « comment enseigner », que le renouveau pédagogique a imposé pendant une décennie au système. Celles-ci ont toutefois le défaut, trop souvent, d’occuper toute la place et d’en chasser une autre, fondamentale : « Que faut-il enseigner ? »

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