Nouveau départ
Le premier ministre Philippe Couillard a remanié en profondeur ce jeudi son équipe ministérielle. Rendu à mi-mandat, il lui fallait donner un solide coup de barre, ce qu’il a fait, pour corriger les principales faiblesses de son équipe et se donner un nouveau souffle.
Ce gouvernement est selon toutes apparences solidement installé au pouvoir. Face à une opposition divisée, sa réélection est pratiquement assurée. Néanmoins, poursuivre sur sa lancée des deux dernières années risquait de le rendre vulnérable. Ses politiques d’austérité ont soulevé de sévères critiques, la réalité étant que des compressions budgétaires répétées ont réduit la prestation de services, notamment en santé, en éducation, dans les services de garde et à l’aide sociale.
Le grand brassage de cartes effectué à l’occasion de ce remaniement visait dans un premier temps à contrer l’image d’un gouvernement obsédé par l’équilibre budgétaire. Le premier ministre a ainsi pris la peine de dire que « la vie n’est pas faite que de chiffres » et même parlé de « réinvestissement ». Faut-il croire à un virage ? S’il y en a un, il ne sera que de quelques degrés. Car, d’ajouter Philippe Couillard, « nous continuerons de dépenser moins que ce nous gagnons d’année en année ». Le déficit zéro demeure l’objectif premier du gouvernement, qui entretient par ailleurs cette autre ambition de réduire les impôts des particuliers.
Il faut donc écarter d’emblée tout retour à la situation d’avant pour les budgets des ministères. François Blais, à qui on a confié de nouveau le dossier de l’aide sociale, n’aura pas de véritable marge de manoeuvre pour mettre en place la politique de revenu minimum garanti évoquée par le premier ministre. Le nouveau ministre de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Pierre Moreau, recevra sans doute quelques millions supplémentaires, pour faire baisser la pression du milieu, mais pas les 200 millions perdus au budget 2015-2016. Quant aux nouvelles places en garderie, parions que, s’il y en a, elles seront dans le réseau privé et non dans le public.
Néanmoins, l’arrivée de nouveaux titulaires à la tête des ministères qui ont été ces derniers mois sous le feu des projecteurs devrait aider à rétablir un dialogue constructif avec les acteurs sociaux. La présence de François Blais à l’Éducation n’était plus tenable. C’est clairement une mission spéciale que Philippe Couillard confie à Pierre Moreau, qui depuis deux ans s’est révélé un des trois piliers de son gouvernement avec Martin Coiteux et Gaétan Barrette. Il lui faut réparer les catastrophes de ses deux prédécesseurs. Sébastien Proulx, qui fait son entrée au conseil des ministres avec la responsabilité de la Famille, aura tôt fait oublier Francine Charbonneau.
Le double mandat donné à Martin Coiteux aux Affaires municipales et à la Sécurité publique se devine aisément. Il s’agit de faire atterrir en douceur la réforme des régimes de retraite des employés municipaux et des policiers pour que ce dossier ne vienne pas perturber les prochaines élections. Étonnant toutefois est son remplacement au Conseil du trésor par Sam Hamad. L’idée est sans doute d’éloigner des micros ce ministre souvent trop imprévisible.
La grande faiblesse du gouvernement ces deux dernières années aura été du côté économique. Les 50 000 emplois par année promis en campagne électorale n’ont pas été au rendez-vous. Il n’y a pas eu cet effet de stimulation que l’élection d’un gouvernement libéral devait créer, et les politiques de développement, telles la version 2 du Plan Nord et la Stratégie maritime, n’ont pas eu l’effet escompté. Le contexte économique difficile n’est qu’une partie de l’explication, l’autre se trouvant dans l’absence de concertation des acteurs économiques gouvernementaux. Les divergences de vues, de commune renommée, entre le ministre de l’Économie, Jacques Daoust, et Investissement Québec ont eu un effet paralysant sur l’action gouvernementale. Jacques Daoust subit une demi-rétrogradation en ce qu’il amène avec lui au ministère des Transports une partie de ses dossiers, l’autre partie allant à Dominique Anglade, dont le mandat à l’Économie intégrera la recherche, la science et l’innovation.
Philippe Couillard veut rattraper le temps perdu et passer de l’austérité à la prospérité économique. De retour de Davos, il s’enthousiasme pour la quatrième révolution industrielle, celle du numérique. À raison, il veut projeter son gouvernement dans l’avenir. Sauf que cet avenir est lointain et que la prospérité, les Québécois l’attendent maintenant. Il lui a été reproché l’absence de plan de développement économique structuré qui puisse servir de guide à ses ministres. La critique est juste, et il lui faut l’entendre.
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