Toujours libre

C'était il y a un an. En pleine conférence de rédaction, ils sont entrés. Ils étaient deux jeunes fous de Dieu, encagoulés. Dans une agression terrifiante, ils ont mitraillé à l’aveugle tous ceux qui étaient présents. Huit sont morts. Ils voulaient faire taire, tuer la parole, la soumettre à leurs diktats. Un an plus tard, ceux qui ont survécu font un magistral pied de nez à tous les intégristes. Leur parole est toujours aussi vivante, leur plume toujours aussi vitriolique, toujours aussi provocante.

Symbole de la résistance à la peur, à l’autocensure, à la soumission, Charlie Hebdo est toujours libre. Libre de mettre en couverture de son numéro spécial anniversaire un Dieu barbu ensanglanté, kalachnikov à l’épaule, et ce titre : « Un an après l’assassin court toujours ». Un dessin excessif pour certains, mais qui, par la polémique qu’il crée, montre que la liberté de Charlie Hebdo est également la liberté des autres de pouvoir le critiquer. Car comment pourrait-on débattre ouvertement si d’emblée on acceptait les interdits ? Des interdits qui, comme l’ont illustré les attentats du 13 novembre, pourraient aller jusqu’à devoir renoncer à son droit à vivre sa vie comme bon nous semble.

La résilience de Charlie Hebdo montre que la réponse au terrorisme islamique ne se trouve pas que dans les mesures sécuritaires vers lesquelles nos réflexes de protection nous font nous tourner instinctivement. Cette réponse se trouve d’abord dans l’affirmation des valeurs que représente l’égalité des droits et libertés pour tous. Des valeurs auxquelles les terroristes s’attaquent, mais dont les États, croyant bien faire, n’hésitent à mettre certaines entre parenthèses.

Cet anniversaire de l’attentat contre Charlie Hebdo est un rappel aux gouvernements qu’il faut prendre garde au réflexe sécuritaire qui leur fait adopter des mesures de protection excessives. Comme la déchéance de nationalité que la France envisage d’appliquer envers des terroristes qui ont une double nationalité et qui, au Canada, a déjà force de loi. Cette mesure est de celles qui nient justement le principe même de l’égalité des droits en créant deux classes de citoyens, ceux nés au pays et les autres.

Cette mesure de déchéance de nationalité a été inscrite dans la loi C-24 adoptée aux Communes à la suite des attentats terroristes de l’automne 2014. Le premier ministre Justin Trudeau était d’avis, en campagne électorale, qu’il fallait abroger cette loi du gouvernement Harper. Il s’était aussi engagé aussi à revoir certains éléments de la loi C-51 renforçant les pouvoirs des services de sécurité. Il ne faudrait pas qu’il oublie ces engagements.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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