Vaincre ses peurs
On reproche souvent aux politiciens de gouverner par sondages. Le Canada aurait sans doute été tenté de fermer ses frontières aux réfugiés comme le font pratiquement les États-Unis si nos gouvernements s’étaient fiés à l’humeur de l’opinion publique. D’abord bouleversée au début de l’automne par la noyade du jeune kurde Aylan Kurdi, qui cherchait à venir au Canada, cette opinion publique se refroidit à la suite des attentats du 13 novembre à Paris. Un Canadien sur deux se disait opposé à l’accueil des 25 000 réfugiés syriens que le gouvernement Trudeau s’était engagé à recevoir en cette fin d’année.
Heureusement, le Canada ne compte pas de Donald Trump pour exploiter les peurs de l’autre. Au contraire, toute la classe politique canadienne, comme la québécoise, a parlé haut et fort en faveur de l’accueil des réfugiés. Le seul qui a pu avoir des réserves aura été le premier ministre Stephen Harper. Son gouvernement avait des objectifs d’accueil nettement inférieurs à ceux du gouvernement actuel. Néanmoins, l’effort qu’il était prêt à faire était sans comparaison avec celui d’autres pays occidentaux.
En fait, il n’y a pas au Canada un seul politicien qui oserait s’opposer ouvertement à l’accueil de réfugiés. Ces 50 dernières années, on les a reçus à bras ouverts venus de Hongrie, du Vietnam, du Kosovo. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada rejetait les étrangers, internant les citoyens d’origine japonaise, allemande et italienne. Et au lendemain de la guerre, il n’accueillait qu’au compte-gouttes certains des millions de déplacés du conflit. Le Canada avait littéralement fermé la porte à l’immigration juive fuyant l’Allemagne nazie. « None is too many », avait laissé tomber un fonctionnaire. Une phrase qui a laissé un profond traumatisme dans l’appareil politique.
Il y a sans doute au sein de la population des réactions de crainte quant à l’arrivée d’un contingent aussi nombreux de réfugiés. Préjugés raciaux et peurs d’attentats, cela existe, même chez les esprits les plus libéraux. Il faut se garder de faire des amalgames entre des craintes qui peuvent être raisonnées et une véritable xénophobie. La vraie mesure du sentiment des Canadiens et des Québécois se prend sur le terrain. L’accueil des premiers 25 000 réfugiés syriens se passe bien. Les politiciens sont aux premières loges pour les recevoir et des gestes de grande générosité sont posés par des familles et par des entreprises. Cette mobilisation citoyenne dit mieux que tout l’ouverture à accueillir cette première vague de réfugiés. Première vague, car il y en aura certainement une deuxième, et peut-être une troisième tant les besoins sont grands, comme nous l’a rappelé mercredi le père du petit Aylan Kurdi.
Le Canada a aussi ses réfugiés intérieurs. Ce sont les autochtones, qui dans le pays le plus vertueux du monde sur le plan des droits de la personne, sont citoyens de seconde classe, un statut consacré par la Loi sur les Indiens. La Commission de vérité et réconciliation, dont le dernier rapport vient d’être rendu public, aura forcé le Canada à regarder ce qu’il a refusé de voir pendant un siècle et à battre sa coulpe. Les pensionnats autochtones auront constitué une politique d’assimilation qu’elle n’a pas hésité, à raison, à qualifier de véritable « génocide culturel ».
Ici, le mot racisme s’impose. Il s’agissait d’une politique raciale institutionnalisée qui a été le fait des gouvernements, des institutions juridiques, policières et religieuses, ainsi que de la population canadienne en général. Au fil des décennies, 150 000 enfants autochtones furent internés dans ces pensionnats dans le but de leur faire abandonner leurs valeurs pour en faire des « Blancs ». Les cas de maltraitance, de violence physique et sexuelle, de suicide et de disparition se comptent en milliers ; 3200 ont été recensés.
La vérité est maintenant connue. Les faits sont établis et des regrets ont été exprimés. Mais on ne peut que remarquer que le gouvernement canadien a été tellement plus prompt à s’excuser auprès de la communauté japonaise pour l’internement des Canadiens d’origine japonaise pendant la guerre de 1939-1945. Ces excuses ont été faites en 1988 pour de bonnes raisons et des réparations ont été versées. Citoyens de deuxième classe, les autochtones ? Cela le démontre, comme toutes ces échelles variables pratiquées par le gouvernement fédéral entre Blancs et autochtones, dont celle pour le financement des services de protection à l’enfance, sur laquelle le Tribunal des droits de la personne se prononcera en janvier.
La Commission de vérité et réconciliation a jeté un pavé dans la mare. Son rapport a certainement créé chez plusieurs un sentiment de culpabilité. Des gestes de réparation viendront, le premier ministre Trudeau s’y est engagé. Le plus dur est à venir : changer les mentalités et établir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones.