Chambardement utile?
En sera-t-il de la réforme de la gouvernance scolaire de François Blais comme de celle de la santé de Philippe Couillard en 2003 : beaucoup de changements de mots et de bouleversements pour peu de résultats ? Sinon cette nécessité, à moyen terme… de procéder à une autre réforme. Dans le domaine de la santé, les réformes-chambardements Couillard de 2003-2004 ont, une décennie plus tard, été suivies des réformes-chambardements Barrette de 2014-2015.
L’abolition des commissions scolaires est un vieux thème : en 2007, l’Action démocratique se disait prête à faire tomber le gouvernement sur le sujet. Avec le succès que l’on sait… Un projet d’abolition de structures permet au moins de faire miroiter de belles économies. Le Parti libéral, en 2003, avait promis de délester le budget de plusieurs millions en éliminant les Régies régionales de la santé. Au passage, il allait « rapprocher les services de la population », « faciliter le cheminement de toute personne dans le réseau de la santé et des services sociaux » (extrait d’un discours du ministre Philippe Couillard à l’époque). A-t-on mesuré l’effet de cette loi ? Y a-t-il eu, pour utiliser le vocabulaire du rapport Robillard, une « évaluation » ? Non, mais un autre gouvernement libéral, en 2014, a cru nécessaire d’abolir les Agences (lesquelles avaient remplacé les Régies) pour les remplacer par des CISS (Centres intégrés de santé et de services sociaux) et des CIUSS (Centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux).
François Blais, avec son projet de loi 86 sur la gouvernance scolaire, semble fonctionner dans le même esprit : il abolit et renomme. Les commissions scolaires seront gouvernées non plus par un conseil des commissaires, mais par des conseils scolaires composés de non-élus. Les élections scolaires sont éliminées. Bien que, si un groupe formant 15 % des parents d’un territoire réclame l’élection de leurs 6 représentants au conseil scolaire (qui en comptera 16), ils auront accès à un scrutin en ligne (celui-ci, contrairement aux antiques élections scolaires, ne sera pas supervisé par le Directeur général des élections).
Quel est l’objectif, ici ? Dans le passé, l’abolition des commissions scolaires rimait avec économies. L’ADQ et la CAQ ont déjà rêvé de récupérer jusqu’à 300 millions de dollars grâce à une telle opération. Le projet de M. Blais n’a sûrement pas comme objectif de produire de telles réductions de dépenses. Tout au plus épargnerait-on quelque 11 millions de dollars en salaires de commissaires. Les membres du conseil scolaire coûteront toutefois « entre 1 million et 2 millions », selon les estimations du ministre. Oh et tous les quatre ans, on évitera des dépenses de 15 millions de dollars en raison de l’élimination des élections. Le ministre n’a toutefois pas compté les processus électoraux qui seront assurément déclenchés dans plusieurs territoires des commissions scolaires anglophones. C’est sans compter les frais juridiques… Comme le soulignait le critique péquiste Alexandre Cloutier, le projet de loi (s’il est adopté tel quel quant aux élections) sera sûrement contesté sur le plan constitutionnel par des membres de la minorité anglophone qui se référeront à la jurisprudence, plus précisément à l’arrêt Mahé de la Cour suprême (1990).
S’il y a élimination (de la plupart) des élections scolaires, la taxe scolaire, elle, est pour l’instant intouchée. Or, le ministre ne s’est jamais empêché dans le passé d’affirmer que ce système de taxation était archaïque, désuet, et posait de nombreux problèmes. Si le projet de loi 86 devenait loi telle quelle, nous devrions revoir l’axiome démocratique : ce serait désormais « taxation » sans « représentation ».
Au reste, plusieurs s’inquiètent à juste titre de l’augmentation des pouvoirs que le ministre se donne. M. Blais semble ici s’inspirer de son collègue Barrette dans sa loi 10. N’avait-il pas annoncé une décentralisation vers les écoles ? Du reste, le rôle conféré aux professeurs dans les conseils scolaires est-il assez important ? Ne donne-t-on pas trop de place aux parents ?
Les questions que soulève ce projet de loi sont légion et elles seront abordées dès 2016 lorsque les travaux parlementaires reprendront. Nous sommes loin de ce que le ministre avait annoncé, mais ce qu’il propose comporte des aspects ambitieux. En éliminant les élections scolaires, il s’attaque à un édifice important. Le déficit de participation populaire en sapait la légitimité. Il aurait toutefois dû commencer par faire des consultations en public, ouvertement, avant de produire tout de suite un projet de loi qui, au fond, pourrait limiter la discussion.