Vert très foncé

L’air de Paris a ceci de grisant que tous s’y sentent emportés par un vivifiant élan vert : sus aux hydrocarbures, lance Philippe Couillard ; resserrons la cible en matière de réchauffement climatique, clame la ministre fédérale de l’Environnement. Puisqu’elle est fraîchement arrivée, laissons-lui son droit à l’enthousiasme du débutant. La conversion du premier ministre du Québec, elle, est plus surprenante.


Depuis quelques jours, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, répète sur toutes les tribunes, à l’Assemblée nationale comme à Paris, qu’il n’est pas entiché de l’exploitation éventuelle des hydrocarbures sur l’île d’Anticosti, projet du gouvernement Marois que son gouvernement est contractuellement tenu de poursuivre. Pas emballé non plus, mais alors « absolument pas », par l’exploitation en général du pétrole et du gaz naturel tant, explique-t-il, l’avenir appartient aux énergies renouvelables.

Cette profession de foi écologique n’a pas manqué de soulever la perplexité du lobby Manufacturiers et exportateurs du Québec. Son président, Éric Tétrault, a à juste titre soulevé un enjeu important : fort bien, mais où est le plan de transition ?

M. Couillard dit que ses propos n’ont rien de neuf, qu’en tant que chef de l’opposition, il s’était opposé à l’exploitation d’Anticosti. C’est vrai… à demi. En fait, il ne comprenait pas ce que le gouvernement du Québec faisait dans cette galère, alors que les grandes pétrolières refusaient d’y embarquer. L’affaire n’apparaissait guère rentable : « Je me pose de grosses questions sur le risque », disait alors le chef libéral.

Cet angle de la rentabilité était en parfaite harmonie avec la plateforme électorale de la campagne de 2014 dans laquelle le Parti libéral du Québec ne disait pas un mot de l’environnement, tout entier tourné vers l’économie et l’emploi. Le passage vers une économie décarbonisée d’ici 2050, dont il a causé à Paris, n’était donc ni détaillé, ni prévu, ni même souhaité. Au contraire, depuis son élection, le gouvernement de Philippe Couillard n’a cessé de manifester un préjugé des plus favorables à l’exploitation des hydrocarbures.

À la mi-novembre, alors que se tenaient les soirées publiques liées aux évaluations environnementales stratégiques (EES), 20 groupes environnementaux avaient d’ailleurs diffusé un communiqué pour dénoncer la pseudo-consultation à laquelle ils étaient conviés. Au nombre de leurs griefs : 4000 pages de documents rendus accessibles seulement deux semaines à l’avance ; 15 études non disponibles encore à ce jour ; quatre soirs de consultation pour tout le Québec. « La future politique énergétique du Québec et la loi sur les hydrocarbures promises pour le printemps prochain nous semblent déjà écrites », précisait le communiqué.

En fait, M. Couillard n’a pas cherché à ralentir la compagnie Pétrolia, dont le gouvernement est le premier actionnaire, dans son projet de mener des forages avec fracturation hydraulique dans trois secteurs d’Anticosti au cours des prochains mois. Le gouvernement s’est même refusé à soumettre ce projet, comme tout autre relié à l’exploitation des hydrocarbures, au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, processus plus rigoureux et moins politique que les EES en cours. Lundi, le ministre Pierre Arcand a quant à lui participé au Forum stratégique sur les ressources naturelles organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Également présents, Gaz Métro et des représentants du secteur minier voyaient très bien leurs possibilités de croissance.

Si le Québec entre dans une phase de transition énergétique — ce que nous souhaitons — alors il faudra agir en conséquence dès le retour de Paris. Il en va d’une question d’honnêteté pour les citoyens et encore plus pour les entreprises. Le vert va-t-il pâlir ?



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