Bricolage non fédéral

La réforme unilatérale des nominations au Sénat présentée jeudi par le gouvernement Trudeau contrevient sur plusieurs aspects au fédéralisme, pourtant élevé par la Cour suprême en 1998 au rang de principe essentiel du Canada. Le gouvernement Couillard, pour préserver ses bonnes relations avec le nouveau pouvoir, a réagi mollement. Il devrait s’inspirer de l’avenue que la CAQ lui propose.


Le Sénat est, théoriquement, une caractéristique essentielle du fédéralisme canadien. Mais dans la pratique, il n’a à peu près rien de fédéral. Le roi élu qu’est le premier ministre canadien y nomme seul les membres. La deuxième chambre, qui aurait dû en être une de représentation régionale, y a perdu toute légitimité très tôt après sa création. Elle s’est avérée une chambre de « patronage » à peu près inutile ; sorte de club privé de gentlemen. Les scandales Duffy-Wallin-Brazeau et cie n’ont fait que révéler une maladie congénitale prenant sa source dans le favoritisme et l’opacité aristocratique.

À cette pathologie grave, le gouvernement Trudeau a répondu jeudi avec une solution de type homéopathique. On formera un comité de cinq personnes fabuleuses qui auront pour fonction de dresser une liste de personnes non moins fabuleuses qui pourraient siéger au Sénat. Le roi élu à Ottawa, encore et toujours, tranchera. Le fonctionnement d’une institution fédérale est en cause, mais Ottawa impose sa solution ! Celle de Stephen Harper — l’asphyxie du Sénat par attrition — était certes anticonstitutionnelle, mais avait au moins le mérite de provoquer un débat fondamental, entre les provinces, sur cette seconde chambre dysfonctionnelle (mot employé par Philippe Couillard en juin).

La solution Monsef-Leblanc-Trudeau constitue une tentative d’enterrer en douceur, sous couvert de lutte contre la partisanerie, le débat. Cela rappelle que les libéraux de Jean Chrétien, à la fin de leur dernier mandat, avaient étouffé, avec un bricolage de la même eau, un autre débat fondamental, celui sur la nomination des juges de la Cour suprême. Le « nouveau processus » fut respecté par M. Harper une fois ou deux ; puis le naturel canadien est revenu au galop : après des consultations opaques, le PM d’Ottawa a tranché. Doit-on s’attendre à un scénario semblable au Sénat, lorsque Justin Trudeau y verra son intérêt ? Ce ne serait pas surprenant.

On se serait attendu à une réaction plus ferme du gouvernement Couillard. Le ministre Jean-Marc Fournier, toujours tenté par le bon-ententisme, a excusé Ottawa, car dans « le cadre constitutionnel actuel, la marge de manoeuvre […] est limitée ». Tout au plus a-t-il fait valoir qu’il « faudrait faire une place accrue aux provinces dans la désignation des sénateurs ». Un peu plus et il ajoutait « s’il vous plaît ». Il est pourtant insultant que le comité prévu par la réforme soit majoritairement composé de représentants du fédéral (trois sur cinq).

Quand on se dit fédéraliste, on veut « fédéraliser ». Voici pourtant une bonne occasion de le faire : le gouvernement central entend redéfinir seul une institution clé de la fédération, en contournant la Constitution. La défense des intérêts du Québec commande plus qu’une expression polie de velléités. La CAQ montre ici la voie en proposant que ce soit désormais l’Assemblée nationale qui élise ses candidats au Sénat. Rien n’empêche que le gouvernement Couillard reprenne cette proposition inspirée du Bundesrat (Conseil fédéral) allemand, modèle que le premier ministre citait favorablement au mois de juin.

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