Lever les contraintes

Le dossier Énergie Est est un paradoxe en marche. Tous ceux qui se frottent à ce projet de pipeline, parce qu’il passera sur leurs terres, sous leurs eaux ou dans leurs villes, sont farouchement contre. À Québec, on se veut rassurant : il y a des critères pour contrôler l’affaire. Et pourtant, TransCanada, derrière le projet, avance. Et les contraintes se lèvent.

Il y aura donc des relevés sismiques dans le Saint-Laurent, travaux qui doivent mener à la construction de l’oléoduc Énergie Est de TransCanada, qui transportera du pétrole albertain. On l’avait vu venir, l’entreprise étant en demande à cet égard depuis des mois. Le gouvernement québécois avait donc demandé à un groupe d’experts indépendants, validé par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), d’établir des critères avant de délivrer le certificat d’autorisation à cet effet. Et certificat il y a maintenant.

Les critères du comité permettent d’éviter les méthodes grossières : pas question d’utiliser des explosifs dans le fleuve, on procédera avec des canons à air. Il y aura néanmoins recours aux explosifs en milieu terrestre et dans les marécages riverains. Et il faudra prévenir 48 heures à l’avance l’usine de filtration de Québec, et envisager le déversement d’hydrocarbures, et restaurer les « zones perturbées par les travaux », et garder une certaine distance de la réserve naturelle protégée (!) de Saint-Augustin-de-Desmaures, et, et, et…

Et tout cela pour que le pipeline puisse traverser le fleuve dans une zone fragile, entre Saint-Augustin et Lévis, une traversée qu’un document émanant d’experts qui ont travaillé pour TransCanada qualifie de « à haut risque ».

Évidemment, lorsque Le Devoir a dévoilé cette nouvelle mardi, tous les groupes environnementaux et citoyens concernés ont poussé les hauts cris. Il est tellement illogique de jouer ainsi avec le précieux Saint-Laurent et de voir Québec autoriser « au compte-gouttes des travaux à forts impacts », pour citer Christian Simard de Nature Québec.

En septembre, Québec avait déjà permis à TransCanada de mener elle-même des études fauniques et de procéder à des relevés sismiques dans la rivière Batiscan. Il faut dire que la compagnie n’ayant pas encore soumis le tracé final de son pipeline (elle cherche toujours où loger son port pétrolier), le BAPE ne peut pas encore intervenir, comme le gouvernement Couillard s’y est pourtant engagé. De toute manière, le travail du BAPE sera limité, TransCanada boudant le processus québécois parce que, selon elle, Énergie Est est un projet qui traverse six provinces, donc qui ne peut être évalué que par le fédéral Office national de l’énergie (ONE). Québec a plié devant ces arguments.

On est pourtant devant un projet énorme, le plus important en développement en Amérique du Nord. Au Québec seulement, cet oléoduc va traverser plus de 600 cours d’eau — et pas des moindres — et des dizaines de municipalités. L’opposition est féroce, notamment de la part des maires.

En fait, comme disait l’autre : « Le projet Énergie Est, […] dans les conditions actuelles, n’aura jamais l’approbation de la communauté. » L’autre, c’est Justin Trudeau, qui parlait ainsi au Devoir au début juillet, et qui est maintenant premier ministre du Canada, non sans avoir fait campagne avec pour bras droit un lobbyiste de TransCanada. Ce qui signifiera quoi comme autorisation finale à venir de l’ONE ? On ne le sait pas. Mais le gouvernement du Québec, lui, a renoncé à toute résistance et laisse TransCanada mener son petit bonhomme de chemin… qui la conduira en consultation dans différentes villes du Québec d’ici la mi-décembre. Cela s’appelle avoir perdu le contrôle d’un projet qui ne devrait même pas être.

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