Contamination multiple
D'abord, il y a eu un problème de communication évident de la part de la Ville de Montréal. Depuis quand savait-on que ce déversement massif serait nécessaire ? Le maire Denis Coderre, lui, n’était manifestement pas au courant ; il a dû demander trois jours de réflexion avant d’appuyer la décision controversée et contaminante. À Montréal, il faudra tirer une leçon de cet épisode. Les Montréalais et autres Québécois affectés par un tel geste polluant volontaire ne doivent pas apprendre par hasard, par le biais d’un groupe de kayakistes, que les eaux de leur fleuve seront massivement contaminées pendant sept jours.
Puis il y eut cette sortie du gouvernement conservateur réclamant une suspension du déversement prévu par la Ville de Montréal. Le lieutenant de Harper pour le Québec, Denis Lebel, d’ordinaire souriant à la vie, s’est fait mardi le porte-parole sombre et (faussement) « préoccupé » de la ministre fédérale de l’Environnement, Leona Aglukkaq : il fallait suspendre l’opération. La préoccupation soudaine du gouvernement Harper pour la pollution de l’eau — lui qui a tout fait depuis 10 ans pour ignorer, entre autres, celle des sables bitumineux — avait un je-ne-sais-quoi de malsain et de risible : on aurait dit qu’il prenait sa revanche contre un maire « libéral » ; contre, aussi, la métropole d’une nation qui donne souvent des leçons d’environnementalisme. Bien sûr, si Ottawa avait mécaniquement accordé son imprimatur à la Ville de Montréal pour son déversement, plusieurs lui auraient reproché son manque de sensibilité verte. Il reste que la manoeuvre dégoulinait d’électoralisme.
Même si tout ce qui précède l’explique et la justifie en partie, la réaction du maire Coderre à la décision fédérale fut excessive ; un marteau piqueur pour tuer une mouche ! Pire, il retomba dans ses vieilles habitudes de ce député libéral fédéral de Bourassa qu’il fut de 1997 à 2013. On l’a alors carrément senti en campagne pour le Parti libéral du Canada et contre l’adversaire traditionnel, le Parti conservateur. Il a voulu se poser en chevalier défenseur de l’intérêt des Montréalais contre les bleus à Ottawa, mais pourrait, par ses manières inutilement politiques, avoir nui à ceux-ci.
Le plus touché par ce dossier contaminé siège cependant à Québec : David Heurtel, ministre de l’Environnement. Son empressement à appuyer le projet de déversement de Montréal mettait déjà en relief cette sorte de désinvolture pleine d’assurance avec laquelle il aborde tant de questions. Cherchant à dramatiser à l’extrême le choix afin de le précipiter et mettre de la pression sur Ottawa, il s’est même permis d’inventer une opinion des « experts de la science » selon lesquels « c’est l’approvisionnement en eau potable de l’île de Montréal qui est en péril ». Ses propos en ont fait sourciller plus d’un. Après les avoir répétés à au moins trois reprises, M. Heurtel a, en coup de vent, devant les journalistes, révélé qu’il s’agissait d’un… « lapsus » ; qu’il voulait en fait parler d’« eaux usées ». « L’approvisionnement en eaux usées », alors, voilà ce qu’il voulait dire ? M. Heurtel devrait revoir sa définition de « lapsus » ou admettre platement qu’il a fait une erreur en confondant station d’épuration (qui reçoit les eaux usées) et usine de filtration (qui traite l’eau avant de les envoyer dans nos robinets). Le ministre n’en est pas à sa première bourde. Le Journal de Québec s’amusait même à recenser ses « quatre pires » mercredi, dont les forages de TransCanada, qu’il avait qualifié de « nécessaires » pendant des mois avant de reculer. L’exercice (certes peu charitable) avait quelque chose de révélateur qui tendait à donner raison à la Coalition avenir Québec, qui réclame sa démission.
Du reste, ce déversement massif est-il vraiment l’« unique solution », comme le martèlent MM. Heurtel et Coderre ? La Fondation Rivières en doute, après avoir consulté le document d’appel d’offres publié pour la construction de la chute à neige Riverside et l’enlèvement du cintrage dans l’intercepteur Sud. On note explicitement dans ce document que l’intercepteur Sud peut rester en exploitation pendant les travaux. Cet élément à lui seul milite, a) pour une publication des études qui ont conduit à ce scénario de contamination extrême du fleuve pendant sept jours. Et b) à une réévaluation transparente de cette décision pour l’instant bien embrouillée.