L’échec de Harper
Il est de bon ton pour tout prétendant au poste de premier ministre d’affirmer sa volonté de redonner à la politique étrangère du Canada ses lettres de noblesse. C’est d’ailleurs ce que fit vertueusement Stephen Harper au moment d’être assermenté premier ministre en 2006. Le Canada, promettait-il, allait retrouver son influence sur la scène mondiale mise à mal par les politiques des gouvernements libéraux précédents. Une promesse non tenue, lui font valoir aujourd’hui ses opposants.
Justin Trudeau et Thomas Mulcair ont raison quant à l’influence perdue par le Canada sous Stephen Harper. Ce pays n’est plus l’« honnête médiateur » qu’il fut, capable de rassembler la communauté internationale autour de projets et de luttes. C’est au Canada de Lloyd Axworthy, ministre libéral des Affaires étrangères, que l’on doit la Convention internationale sur l’interdiction des mines antipersonnel. C’est au Canada du premier ministre conservateur Brian Mulroney que l’on doit le mouvement anti-apartheid de l’Afrique du Sud. Aussi, quand le Canada posait sa candidature à un des sièges électifs du Conseil de sécurité, la communauté internationale le lui accordait toujours. Sauf en 2010, année où elle fut rejetée.
Cette humiliante défaite au Conseil de sécurité fut le résultat direct du changement de rôle adopté par le gouvernement Harper. Le Canada, voix de la modération dans les conflits, dont celui entre Israël et la Palestine ; le Canada, champion du multilatéralisme et du rôle des Nations unies ; le Canada, gardien de la paix, sont désormais choses du passé. Stephen Harper s’est révélé être à bien des égards un faucon. Le Canada est désormais aligné sur le camp américain, toujours prêt à aller sur la ligne de feu en Afghanistan, en Libye, en Irak, en Syrie. Plus question de rester plus sur les lignes arrières à faire de l’humanitaire. Le ministère de la Défense est devenu l’instrument principal de la politique étrangère canadienne.
Si la critique de la politique étrangère des conservateurs que font Thomas Mulcair et Justin Trudeau est juste à bien des égards, il ne faut pas idéaliser l’image pacifiste du Canada. C’est sous Jean Chrétien que le Canada est intervenu au Kosovo. C’est lui qui le premier a envoyé des soldats en Afghanistan. Quoique c’était des missions décidées dans le cadre multilatéral des Nations unies, au nom d’un devoir d’intervention, plutôt qu’à l’instigation d’une coalition de pays comme celle mise sur pied pour faire la lutte au groupe État islamique.
Libéraux et néodémocrates promettent de se retirer de cette coalition pour intervenir plutôt sur le plan humanitaire. Ce serait sans doute aussi efficace, car la participation militaire n’est que symbolique, alors que les besoins humanitaires sont immenses. Ce serait revenir à l’esprit de la tradition canadienne. Ils ne doivent pas se faire d’illusions. En dix ans, les conservateurs ont fait beaucoup. Ils ont réduit l’appareil diplomatique, passé des contrats pour les avions de combat F-35, créé des tensions avec la Russie, renié l’accord de Kyoto. Ils ont creusé un sillon qui sera difficile à combler. Il s’agira de rebâtir la confiance. Ce sera long.