Un statut à gagner

C'est une toute petite phrase en introduction de son jugement, mais elle donne le ton : « La discrimination fondée sur le sexe, bien que plus subtile qu’autrefois, a la vie dure. » La juge Chantal Masse, de la Cour supérieure du Québec, ne pouvait mieux résumer le fond de l’affaire qu’elle a eue à trancher sur la descendance de femmes autochtones en couple avec des non-Indiens.

Non sans un soupçon d’impatience bien justifié, la juge somme le gouvernement fédéral d’intervenir pour de bon en cette matière. Après tout, écrit-elle, « la situation perdure depuis maintenant un peu plus de 30 ans sans qu’une solution complète y ait été apportée ».

Elle a raison. Mais Ottawa risque de faire appel et l’attitude du fédéral n’est qu’un aspect de l’incroyable bataille que les femmes autochtones sont encore à mener.

Dans les années 70, des femmes ont commencé à contester la perte, en cours depuis 100 ans, de leur statut d’Indien dès lors qu’elles étaient en union mixte. En 1985, la Cour suprême tranchera en leur faveur. La Loi sur les Indiens a ainsi été modifiée en 1985, puis en 2010. Mais ces changements ont chaque fois comporté leur lot d’oublis quant à la transmission du statut. Ceci a fait en sorte que dans certains cas, si l’on compare la descendance d’un Indien en couple avec une non-autochtone à celle des rejetons d’une Indienne avec un non-autochtone, la filière maternelle est désavantagée, car encore aujourd’hui, des enfants issus de ces liens finissent par perdre leur statut. Le droit à l’égalité ne tolère pourtant pas les exceptions, tranche la juge.

Au gouvernement, donc, de jouer son rôle de législateur et de colmater les brèches de la loi plutôt que d’obliger les individus à monter aux créneaux pour leurs droits. Il faut même y aller « rondement » : 18 mois apparaissent raisonnables même dans le « contexte préélectoral ambiant ». Assez perdu de temps !

Dans la même veine, la juge met en garde contre la tentation d’évoquer des motifs financiers pour limiter le nombre de personnes pouvant se réclamer du statut d’Indien, un argument qui n’est qu’un « autre affront » au droit à l’égalité. Cela aussi fait du bien à lire à l’heure où des réserves comme Kahnawake persistent à interdire les mariages mixtes, clamant leur autonomie législative. Les tribunaux se pencheront sur cette affaire sous peu. Mais constatons la persistance d’une discrimination incroyable et implacable envers les femmes qui explique que la décision claire et nette de la juge Masse soit saluée comme « historique ».

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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