L’énigme du retour
La « prime Bolduc », tel un fantôme de l’été 2014, est revenue hanter le gouvernement, la semaine dernière. Diane Lamarre, du Parti québécois, a dénoncé ce retour, lequel a été nié de manière véhémente par MM. Barrette et Couillard. Véhémente… mais peu convaincante.
Gaétan Barrette avait pourtant été clair, le 28 novembre, lors du dépôt de son projet de loi 20 « favorisant l’accès aux services de médecine de famille » : « Le régime actuel de prime à l’inscription tel qu’il existe aujourd’hui, ayant fait la démonstration de son inefficacité, serait aboli. »
Diane Lamarre, jeudi, avait donc raison de s’interroger : pourquoi, à l’article 24 de l’entente du 25 mai entre Louis Godin (président de la Fédération des omnipraticiens du Québec) et le ministre de la Santé, signée en grande pompe lundi, y a-t-il une prime « favorisant l’inscription de la clientèle » ? La réponse du ministre, le lendemain, a été, comme toujours dans son cas, vindicative. En entrevue au Devoir, il pestait : « Ce que j’entends depuis [jeudi], je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide de ma carrière. »
Souvent, lorsqu’il couvre ainsi de bêtises un adversaire, M. Barrette tente de masquer qu’il a été pris en défaut ou placé devant une contradiction. C’est le cas ici, manifestement. Il est vrai que l’entente du 25 mai stipule que la lettre d’entente 245 (négociée par M. Bolduc et dont ce dernier a abusé dans l’intermède où il s’est retrouvé dans l’opposition) est « abrogée sans effet rétroactif ». On y dit qu’elle est remplacée par deux mesures : la première, comme on peut le lire, « vise à payer au médecin un supplément pour la première visite associée à une inscription de tout nouveau patient orphelin ».
L’argumentation de M. Barrette porte essentiellement sur cette notion de « première visite ». Il va jusqu’à dire qu’en raison de cette « première visite », la prime Bolduc et la prime Barrette-Godin, « ça n’a rien à voir ». Si on le comprend bien, la première portait sur l’inscription seule et la seconde comprendra (car les modalités restent à négocier) l’inscription et la garantie d’une première visite. Cette dernière est, insiste M. Barrette, « essentielle », « plus longue », celle « où le médecin fait l’état de la situation du patient ».
Si les choses étaient si simples, peut-être pourrait-on, à la limite, parler de « raccourci » (mot choisi par M. Couillard, plus mesuré que son ministre…) de la part de l’opposition. Mais elles ne le sont pas. Retournons à la lettre d’entente 245, celle qui instaura la prime Bolduc en 2011. On y trouve cette phrase limpide : « Les montants supplémentaires prévus par la présente disposition sont payables lors de l’inscription à l’occasion d’un examen ou d’une intervention clinique fait par le médecin lui-même. » Ainsi, la prime Bolduc n’était versable que lors d’un examen ou d’une intervention. Autrement dit, elle impliquait déjà une « première visite ». Ce qu’a d’ailleurs confirmé la Fédération des omnipraticiens à La Presse, dès jeudi.
Doit-on penser que les médecins (comme M. Bolduc) inscrivaient des patients sans faire le fameux « examen complet majeur » (ECM), selon l’expression consacrée dans le jargon de la RAMQ ? Les propos de M. Barrette le laissent entendre ! Beau professionnalisme : nous ferons notre travail professionnellement… moyennant une prime ! D’autant plus que les omnipraticiens touchent déjà un supplément pour un ECM : 73,95 $ (19,90 $ pour un examen ordinaire). M. Barrette ajoute donc un supplément au supplément ?
En plus, la lettre précise que le patient orphelin peut provenir « ou non » d’une référence du guichet d’accès. En somme, on revient à la première prime Bolduc, avant la modification introduite par Réjean Hébert en 2013, laquelle abolissait l’autoréférencement. Décidément, la prime Barrette-Godin ressemble beaucoup à la prime Bolduc. Mais selon le ministre, il est « stupide » de le dire…
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