Le négociateur

Le ministre Gaétan Barrette aurait-il remporté son bras de fer avec les omnipraticiens ? À première vue, oui. En brandissant le projet de loi 20, il a contraint les généralistes à proposer des moyens pour arriver à un objectif essentiel : améliorer l’accès au système de santé au Québec. Certes, des questions demeurent. Notamment, qui jugera des résultats ?
 

Il est tout à fait compréhensible de détester le style Barrette. L’ancien chef « syndical » semble prêt à tout pour arriver à ses fins. Y compris l’ultima ratio, ici un nécessaire bâton (le projet de loi 20), pour faire bouger la partie avec laquelle il négocie.

Cette méthode de négociation semble avoir fonctionné. Sous réserve d’une analyse plus approfondie de l’entente avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), ces derniers semblent s’être rendus à plusieurs des exigences du ministre. « Aurait-on eu vraiment besoin de tout cet affrontement pendant six mois ? », s’interrogeait le député de Québec solidaire Amir Khadir, lundi. Peut-être ! Peut-être que pour l’intérêt public, c’était nécessaire.

Avec son projet de loi, son style frondeur et tranchant, le ministre Barrette a déclenché un débat au Québec. Un environnement social exigeant a été établi autour des médecins, lequel peut se caricaturer ainsi : il y a des années que vous vous voyez octroyer carotte après carotte simplement pour faire votre travail. Il est temps de « livrer la marchandise ». Sinon…

Ce n’est pas la première fois qu’un ministre de la Santé perd patience face aux médecins. François Legault, en 2002, leur avait imposé une loi spéciale et avait menacé de leur retirer leur statut de travailleurs autonomes.

Usant de menaces lui aussi, le ministre Barrette s’en est servi pour négocier et a obtenu une entente, laquelle comprend des cibles précises. Le pourcentage de la population inscrite auprès d’un médecin de famille devrait donc atteindre 85 % le 31 décembre 2017 (68 % actuellement). Des cibles intermédiaires nous indiqueront s’il y a bel et bien eu progression. Le projet de loi 20, fixant des quotas, sera adopté sans s’appliquer aux omnipraticiens, et éventuellement aux spécialistes, s’ils s’entendent avec le ministre. Mais l’épée de Damoclès demeurera. En définitive, l’opération aura contraint les omnipraticiens à proposer ce qu’ils auraient sans doute rejeté du revers de la main si M. Barrette le leur avait demandé en novembre.

Plusieurs questions demeurent toutefois. L’entente abolit les fameuses lettres 245 et 246 par lesquelles l’ex-député-médecin Yves Bolduc a pu toucher des primes pour 1500 nouveaux patients. Mais une certaine logique de carotte semble demeurer : à l’article 15, on spécifie que la « tarification des actes de la nouvelle nomenclature en cabinet privé, qui entrera en vigueur le 1er avril 2016 », ne sera accessible qu’aux « médecins ayant atteint un seuil initial de 500 patients inscrits à leur nom ».

Ce nouveau modus vivendi coûtera-t-il plus cher à l’État québécois ? Plus de services impliquent plus d’actes médicaux. Or, les médecins sont payés à l’acte ! L’entente certifie pourtant que « les mesures découlant de la présente entente ne peuvent donner lieu d’aucune façon à l’ajout de montants additionnels à ceux déjà prévus à l’enveloppe budgétaire globale ». Les activités médicales particulières, qui forçaient les médecins à donner des heures aux hôpitaux, seront graduellement assouplies. Mais « qui va faire plus d’heures à l’hôpital ? », se demandait la critique péquiste Diane Lamarre.

Enfin, qui composera le « comité paritaire » chargé d’« assurer le suivi » de l’entente ? Pour l’instant, c’est le flou absolu. Il serait « formé du nombre de membres jugé pertinent par les parties ». C’est lui pourtant qui déterminera si ce bras de fer aura vraiment donné des résultats.

Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.

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