Le tabou du kebab
Vient d’entrer en vigueur à Mumbai, la ville la plus populeuse et la plus cosmopolite de l’Inde, une loi interdisant l’abattage, la vente et la consommation de boeuf. Les vaches sont sacrées dans l’hindouisme, littéralement. Plusieurs villes et États ont déjà des lois contraignantes à ce sujet, bien que ces lois soient souvent plus ou moins appliquées. Celle qui vient d’être adoptée à Mumbai, capitale du Maharashtra, est d’une intolérance sans précédent. Les contrevenants sont passibles de sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. Des restaurants de kebabs ont dû fermer leurs portes dans les quartiers musulmans. Des commerçants ont tenu des manifestations pour dénoncer cet interdit qui « fera perdre leur gagne-pain à des dizaines de milliers de personnes », a déploré Mohamed Ali Qureshi, président du Mumbai Suburban Beef Dealers Association.
L’Inde est à bien des égards une autre planète sur le plan culturel, soit. Mais il reste que ce pays de 1,2 milliard d’habitants est une démocratie constitutionnellement laïque. La nouvelle loi est un signe additionnel et inquiétant que l’Inde glisse à droite et que son caractère séculier est mis à mal sous le nouveau gouvernement du premier ministre Narendra Modi, dont le BJP (Parti du peuple indien) a été massivement élu l’année dernière sur promesse d’emplois et de croissance économique.
L’idéologie défendue par la droite qu’incarne ce parti veut réduire l’identité nationale aux valeurs hindouistes de la majorité. Le culte de la « Vache-Mère » est depuis toujours l’une de ses armes politiques de prédilection. Qui n’est pas hindou et végétarien, suivant cette logique « de souche », n’est au fond pas vraiment indien. D’où la dérive antimusulmane, aussi absurde que dangereuse.
M. Modi a surtout mené campagne sur serment de développement économique, mais il était implicite que sa victoire allait ouvrir la porte aux voix réactionnaires qui sont celles de sa base militante. Suivant son élection à Delhi et celles, subséquentes, du BJP à plusieurs scrutins régionaux, dont celui au Maharashtra, des organisations ultranationalistes hindoues ont multiplié les gestes d’intolérance, attaquant des églises catholiques à Delhi, menant des actions de conversion forcée de musulmans (175 millions de personnes, 14 % de la population) et de chrétiens (2,5 %).
Il se trouve en fait que l’Inde est le deuxième producteur de viande bovine au monde, après le Brésil. Vu les sensibilités, la production est en grande partie exportée, sans états d’âme, au Vietnam, au Bangladesh, en Égypte… On trouverait cela comique si, à laisser s’exprimer n’importe comment les instincts politiques et religieux, M. Modi ne jouait pas autant avec le feu.